Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mercredi 9 août 2017

Lumière d'été - Jean Grémillon (1943)

Cri-Cri était autrefois danseuse. Elle tient aujourd'hui la pension «L'Ange gardien» pour être plus près de son amant, Patrice, un châtelain désœuvré qui mène une cour assidue à Michèle, une jeune femme rencontrée par hasard. Cette dernière, vit avec Roland, un artiste sans grand talent qui ne rechigne jamais devant un bon verre de vin. Un soir, il se présente complètement saoul à la pension. Pour se rapprocher de Michèle, Patrice demande à Roland d'effectuer des aménagements dans son château.

Après un début de carrière difficile, les succès de Gueule d’amour (1937) et L'Étrange Monsieur Victor (1938) firent de Jean Grémillon un réalisateur majeur du cinéma français. Un statut confirmé avec Remorques (1941) pourtant réalisé dans des conditions houleuses.  L’entrée en guerre de 1939, la débâcle puis le début de l’Occupation interrompent ainsi le tournage rendu complexe par ses scènes maritimes filmées en studio et qui s’achèvera deux ans après son premier clap sans ses deux stars (Jean Gabin et Michèle Morgan) ayant fuies aux Etats-Unis. Durant l’Occupation, le politisé Jean Grémillon se refuse à intégrer la Continentale et se réfugier en Zone Libre où la censure allemande est moins contraignante. Le scénario de Pierre Laroche et Jacques Prévert lui permet ainsi d’exprimer la fibre sociale qui imprègne tous ses films tout en délivrant un message de résistance subtilement métaphorique contre l’envahisseur allemand.

Jean Grémillon signe là un grand film sur la passion amoureuse qui peut prendre différent visages. Ces visages s’incarnent dans les trois lieux clés du récit. La passion possessive, décadente et secrètement meurtrière est ainsi symbolisée par le château oppressant et vide comme l’âme de son propriétaire Patrice (Paul Bernard). La pension de « L’Ange Gardien » est-elle le théâtre d’une passion tourmentée, dépressive et maladive  la maîtresse des lieux Cri-Cri (Madeleine Renaud) amoureuse éperdue de Patrice. C’est aussi là qu’aime et souffre en silence la jeune Michèle (Madeleine Robinson) pour l’autodestructeur Roland (Pierre Brasseur). 

A travers ces environnements on trouve donc d’un côté le pouvoir « féodal », corrupteur que représente le châtelain Pascal (ses manœuvres sournoises pour perdre Roland et se rapprocher de Michèle) et de l’autre un monde ordinaire, vulnérable et joyeusement excentrique à travers quelques hôtes de la pension. Entre les deux le barrage en construction et ses ouvriers symbolisent une forme de pureté du prolétariat et une vision idéalisée de l’amour (les traits angéliques et la passion si innocente de Julien (Georges Marchal) pour Michèle), ainsi que finalement un barrage à l’injustice (ce n’est pas pour rien que le final s’y déroule) et au nazisme de façon sous-jacente.

Jean Grémillon choisit pour cadre le vrai barrage de l'Aigle en Corrèze, haut-lieu de la Résistance puisqu’il servait de refuge aux maquisards mais employait également des ouvriers réfractaires au STO (service de travail obligatoire allemand réquisitionnant des français). Les vues majestueuses de la région, parfois naturelles et parfois dû à l’ingéniosité des maquettes d’Alexandre Trauner (pas crédité au générique puisque juif) - la spectaculaire baie vitrée de la pension donnant sur les montagnes - ainsi que les décors impressionnants baignés de cette fameuse lumière d’été du titre reflètent donc ironiquement la facette la plus oppressante de ce chassé-croisé amoureux. 

A l’inverse dès que la pénombre, l’ombre et la nuit dominent, les sentiments les plus nobles peuvent s’exprimer. Ce sera presque toujours autour du refuge que constitue le barrage, évidemment avec la camaraderie et fraternité des ouvriers mais surtout au cœur de chaque rencontre entre Julien et Michèle. Julien fait échapper Michèle à une explosion et réconforte son désarroi dans un tuyau à l’ombre du tumulte et leur première rencontre inopinée se fait dans l’obscurité d’une chambre. La photo de Louis Page est tout en subtils contrastes lors l’entrevue dans les bureaux de la mine et le premier baiser puis le final se déroule de nuit, passant du château au barrage.

Jean Grémillon oppose là deux mondes, l’un bourgeois et torturé qui pense gagner l’amour par la force (Pascal) ou le refuse et/ou le réclame dans un pur égoïsme (Cri-Cri, Roland), à l’inverse de celui qui s’accepte avec patience et sincérité au fil du récit et des déconvenues avec Julien et Michèle tout en présence lumineuse et juvénile. Les va et vient sentimentaux et géographiques se succèdent alors jusqu’à trouver l’espace rédempteur qui pourra tout résoudre avec la conclusion cathartique au sein du barrage. Jean Grémillon aurait d’ailleurs préféré conclure là mais la censure imposa un épilogue (atténuant du coup la progression du récit par le réalisateur) où l’on verrait Julien et Michèle sous une lumière éclatante face aux montagnes. L’un des chefs d’œuvres de Grémillon sous l’Occupation avec Le ciel est à vous à venir.

 Sorti en dvd zone 2 français chez SNC/M6 Vidéo

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