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vendredi 28 juillet 2017

Le Kimono Pourpre - The Crimson Kimono, Samuel Fuller (1959)


Une strip-teaseuse est assassinée dans le quartier japonais de Los Angeles. Deux détectives, l'un américain, l'autre japonais, amis de longue date, qui se sont connus pendant la guerre, sont chargés de l'affaire. Mais, durant l'enquête, la rencontre d'une artiste-peintre va briser leur amitié, puis leur faire prendre conscience d'une autre conception de la vie.

Samuel Fuller avait déjà exploré la culture japonaise et notamment évoqué une romance mixte dans le formidable La Maison de bambou (1959), un des premiers films américain tournés au Japon. Quatre ans plus tard aborde à nouveau le sujet en plaçant cette fois le cadre de l’intrigue aux Etats-Unis, dans le Little Tokyo de Los Angeles. La trame policière autour du meurtre d’une strip-teaseuse (qui donne lieu à une ouverture saisissante avec cette femme en sous-vêtements courant apeurée en plein rue avec d’être froidement abattue) est un quasi prétexte pour aborder ces questionnements raciaux à travers l’enquête du duo de flic Charlie Bancroft (Glenn Corbett) et Joe Kojaku (James Shigeta). Quand on a le souvenir de l’évocation féroce du racisme dans un film contemporain comme Un homme est passé d John Sturges (1959), le début du film surprend par l’harmonie et l’acceptation de la culture japonaise dans cette ville de LA.

Cela passe d’abord par l’amitié et la complicité entre Charlie et Joe, quelques dialogues et situations suffisant à saisir le lien profond qui les unit, né de leur expérience durant la Guerre de Corée. Fuller prolonge cela par sa description de ce Little Tokyo avec le filmage de lieux, de rites (le tournoi de kendo à la police), costumes traditionnels typiquement japonais qu’on avait alors rarement l’occasion de voir et où comme dans La Maison de bambou il montre son profond respect de cette culture. L’effort est significatif, Le Kimono Pourpre étant un des rares films de l’époque où loin du tout-anglais hollywoodien on peut avoir des scènes entières dialoguées en japonais, notamment les interrogatoires de Joe auprès des migrants. Le conflit interviendra paradoxalement au moment où cette mixité d’ensemble pourrait pleinement s’épanouir à travers une romance interraciale entre Joe et l’artiste peintre Chris (Victoria Shaw), témoin de l’affaire. 

Fuller nous aura préparés en amont à cet écueil par la caractérisation des personnages. L’amitié fusionnelle de Joe et Charlie, qui vivent ensemble, repose notamment sur une volonté de célibat indéfectible. Quand chez Charlie cela relève d’un aspect relativement machiste et rouleur de mécanique (qui se ressentira dans sa séduction balourde quand il s’amourachera de Chris), cela semble relever d’un mal plus profond chez Joe. Un dialogue évoquera une relation avortée avec une nippo-américaine dont seul l’origine constituait un point commun entre eux, et Joe semble s’impliquer dans son job de policier avec une conviction qui semble presque justifier pour lui une identité américaine dont il doute. 

Dès lors la scène de séduction avec Chris se montre d’une grande subtilité pour exprimer ces sentiments contradictoires. Samuel Fuller joue subtilement d’un effet de rapprochement/éloignement par l’image à travers la gestuelle, le positionnement dans l’espace mais aussi le contenu de la conversation des personnages pour révéler ce rapprochement amoureux. Le dialogue amène cette complicité et sensibilité artistique commune par la vulnérabilité attachante que révèle Joe (loin de la balourdise de son acolyte) et le charme de cette découverte par Chris qu’on sent tomber amoureuse de lui. Le réalisateur filme cette proximité naissante tout en nous frustrant de l’enlacement et baiser attendu, le lien se nouant paradoxalement lorsque Joe se lève du canapé pour jouer du piano. La composition de plan concrétise cette romance avec Joe au premier plan jouant tandis que l’on distingue une Chris admirative et aimante en arrière-plan. 

La multi culturalité s’ajoute à la séquence puisque Joe joue une ritournelle japonaise au piano, sur lequel trône néanmoins un buste de Beethoven. Pourtant au moment des aveux de sentiments supposés conclure ce magnifique moment, Joe a un mouvement de recul qu’on attribue à une culpabilité envers Charlie, mais le mal est plus profond. Toute la question de racisme jusque-là totalement évitée refait surface, pas par l’entremise du monde extérieur (qu’il soit japonais ou américain) mais par le seul doute de Joe pas encore accompli dans son assimilation et qui interprète la supposée intolérance des autres, malgré la bienveillance de son entourage.

La trame policière est donc un catalyseur qui se greffe parfois grossièrement à l’ensemble, notamment le final où une coïncidence et un dialogue trop explicatif du coupable permet de résoudre l’affaire. De même on sent pour Fuller l’obligation de greffer un peu artificiellement des scènes d’actions (la double confrontation avec un colosse coréen) ou des figures pittoresques ((la peintre excentrique jouée par Anna Lee qui rappelle en moins intéressant la Thelma Ritter du Port de la drogue (1953)) quand l’intérêt est clairement ailleurs, dans cette romance contrariée et l’atmosphère si particulière du film. Néanmoins les prestations subtiles (le couple Victoria Shaw/James Shigeta aussi charismatique qu’attachant) et l’absence de manichéisme (le final loin des conventions où l’amour ne résoudra pas tout) font de ce Kimono Pourpre un spectacle remarquable et captivant.

Sorti en dvd zone 2 français chez Sidonis 

 

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