Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 26 mai 2017

Mademoiselle - Ah-ga-ssi, Park Chan-wook (2016)


En pleine colonisation japonaise en Corée, dans les années 1930, la riche japonaise Hideko (Kim Min-hee) embauche la jeune servante coréenne Sook-hee (Kim Tae-ri) dans un gigantesque et sombre manoir appartenant à son oncle tyrannique ; elle ignore que cette dernière ourdit des plans maléfiques organisés avec un escroc (Ha Jeong-woo) qui se fait passer pour un comte japonais.

Park Chan-wook s’était imposé auprès du public et de la critique par un style singulier, entre sentiments à vifs et cynisme, entre nihilisme et mélodrame, le tout porté par un mélange détonant d’humour à froid et de propos social. Tous ces éléments culminaient dans la fameuse « trilogie de la vengeance » (Sympathy for Mister Vengeance (2002), Old Boy (2003), Lady Vengeance (2005)) qui consacra le réalisateur mais à l’issue de laquelle il devait se réinventer. Romantisme et folie douce baignent ainsi un déroutant Je suis un Cyborg (2007), le romantisme noir de Thirst constitue un de ses sommets et la première expérience américaine de Stoker (2013) fait preuve d’une maîtrise et d’un fétichisme formel de tous les instants. Toutes ces recherches annoncent ainsi le sommet qu’est Mademoiselle dans un captivant renouveau.

Le film adapte le roman Du bout des doigts de Sarah Waters dont il transpose l’intrigue dans (comme nombre de grosse production coréennes récentes) la Corée sous colonisation japonaise des années 30. Un choix tout sauf dû au hasard puisque cette présence de l’envahisseur (un arrière-plan plus qu’un élément concret de l’intrigue) symbolise le rapport dominant/dominé et la quête d’identité qui guide le récit. Les deux « méchants » masculins, le comte (Ha Jeong-woo) et le pervers Kouzuki (Jo Jin-woong) ont renié concrètement ou facticement leur identité coréenne pour assouvir leurs pulsions pour le stupre ou le luxe. Pour ce faire ils vont soumettre deux « instruments » féminin, la servante Sook-hee et l’héritière japonaise Hideko (Kim Min-hee) et les entraîner dans ce jeu de faux-semblant où elles vont se perdre à leur tour quant à leurs identités et leurs sentiments. Le scénario à tiroir dessine une arnaque virtuose ou l’enchâssement de mensonges, traitrises et manipulation se dispute constamment au rapprochement progressif entre Sook-hee et Hideko. Ce sont des figures jumelles dont les points communs se dessinent entre les mailles du complot ourdi : deux orphelines de mère, farouchement individualiste et façonnées par les hommes pour satisfaire leurs désirs physiques comme matériels.

Park Chan-wook par l’extrême sophistication de son décorum gothique, fusion fétichiste entre les cultures japonaises et occidentales, dresse ainsi par l’image ce voile du paraître. Les deux premières parties du film renvoient dos à dos Sook-hee et Hideko dans leur duperie, chaque dialogue, situation et attitude trop ostentatoire renvoyant à l’arnaque en cours - dont le principe même (interner ou feindre d’interner une riche pour toucher son héritage) révèle le contexte machiste de cette société. Un espace ténu se dessine pourtant dans cet édifice de l’arnaque, où les deux héroïnes vont se rapprocher. Park Chan-wook l’exprime par un trouble érotique fait de promiscuité physique dans ce rapport maîtresse/servante (la scène du bain et de la dent), par une sincérité se révélant sous le mensonge et à l’inverse une attirance suscitée par l’image factice renvoyée à l’autre.

Hideko par sa gentillesse, son innocence et sa présence éthérée finit ainsi par émouvoir Sook-hee regrettant de la livrer en pâture au Comte. De même Hideko entrevoit la vérité des sentiments de Sook-hee jalouse et abattue, et voit en elle la seule vraie compagne qu’elle n’ait jamais eue à sa solitude. Le montage cinéma tire plus vers l’efficacité du film d’arnaque et ne révèle vraiment sa dimension romanesque qu’à mi-parcours alors que la version longue esquisse par un érotisme plus prononcé (le regard de Sook-hee s’attardant sur les seins d’Hideko durant la scène de bain) ou séquences prolongées, qui tissent une incertitude plus que la pure duplicité.

Les deux premières parties complètent ainsi le portrait des deux héroïnes par une narration ludique et tragédie romantique flamboyante. Déchirée entre leurs ambitions et leurs amours naissant, et le réalisateur donne avec brio un sens multiple à des scènes renvoyant à ce questionnement au fil du récit. La grande scène lesbienne se dote ainsi d’un érotisme piquant et rieur tant que l’on n’adopte qu’un point de vue. Lorsque la vision sera complète la sensualité initiale devient une passion fiévreuse et irrépressible dans un déluge des sens où la mise en scène de Park Chan-wook capture l’ardeur intense de ses actrices. A l’inverse lorsque le calcul ressurgit, la meurtrissure n’en sera que plus profonde dans la scène où Sook-hee renvoie Hideko dans les bras du comte. La séduction initiale peut justifier, même dans ce contexte extraordinaire, l’avancée masquée de chacune mais quand l’amour véritable sera avoué les héroïnes se devront d’être sincères et s’unir dans leur dessein. 

C’est une manière pour Park Chan-wook de faire la différence avec l’expression du désir bien plus calculée et tordue chez les protagonistes masculins. Les scènes de lecture d’Hideko la ramènent au statut d’objet de lubricité des auditeurs hommes, en faisant une maitresse les assujettissant de sa seule intonation de voix mais finalement malgré tout le jouet de leur fantasme en allant jusqu’à mimer les positions dépeintes avec un automate. Tout dans le passif des héroïnes les renvoient à fonction de satisfaire les hommes dont la libido façonnent la personnalité du sexe faible. L’excitation que ressentent les hommes par procuration et artifices, les amantes l’auront ressenti dans leur chair.

La troisième partie du film complète ainsi le tableau, endossant le souffle romanesque où Sook-hee et Hideko unissent enfin leurs forces. L’étouffant décor du château voit ses symboles de pouvoir balayés (le serpent accueillant les visiteurs dans la bibliothèque, la littérature érotique détruite), Park Chan-wook élargissant enfin le cadre, laissant voir les extérieurs où cavalent le couple (sur un magnifique thème romantique de Jo Yeong-wook). La claustrophobie reste désormais l’apanage des hommes dans un épilogue étouffant renvoyant à l’ironie et au sadisme du Park Chan-wook d’antan. Cette liberté se déploie totalement dans une dernière scène discutée. Le réalisateur choisit le romanesque plutôt que le féminisme et donne donc tout au long du film dans une imagerie ne renvoyant pas à la simple sexualité lesbienne, mais à la passion amoureuse au sens large. Dès lors tout le film renvoie à ce qu’il dénonce (l’emprise du regard masculin sur la sexualité féminine fantasmée) tout en le contredisant. 

La différence est que Park Chan-wook adopte le regard du cinéaste et narrateur pour déployer son point de vue forcément masculin, sans pour autant en écraser ses héroïnes et en exprimant leur émancipation. La scène finale révèle donc le fantasme biaisé tout comme la liberté retrouvée d Sook-hee et Hideko. L’instrument de punition masculine devient le jouet sexuel de ces dames dans une étreinte lascive, puis la caméra de Park Chan-wook les abandonne à leur plaisir pour un ciel lunaire signe de leur perspectives désormais infinies.

Sorti en dvd zone 2 français chez M6 vidéo

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