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mercredi 3 mai 2017

L’Esprit Positif, Histoire d’une revue de cinéma : 1952 – 2016 - Edouard Sivière



Si l’histoire riche et mouvementée des Cahiers du cinéma a suscitée moult ouvrages rétrospectifs, c’est nettement moins le cas pour son grand rival Positif. C’est l’immense tâche à laquelle s’attelle Edouard Sivière par une démarche singulière. Son analyse sur l’histoire de la revue s’appuiera donc sur la connaissance encyclopédique de la revue dont il possède toute la collection et sur l’avis purement subjectif qu’il retire de son évolution. L’auteur alterne ainsi histoire de la revue à travers sa fondation et son rythme de publication, l’évolution de sa rédaction pour déboucher ainsi sur la construction d’un ton, d’un choix de cinéastes défendus et finalement d’un style Positif largement mis en valeur dans les nombreux extraits d’analyse.

Edouard Sivière divise l’odyssée de Positif en quatre grandes périodes. La première va de 1952 à 1965 et voit donc la fondation de la revue par Bernard Chardère. L’ancrage lyonnais distingue déjà Positif loin de l’agitation parisienne ainsi que ces membres emblématiques issus du surréalisme parmi lesquels on trouve quelques personnalités comme Robert Benayoun et Ado Kyrou. C’est une première ère instable tant par une parution chaotique (le rythme mensuel ne sera vraiment tenu qu’à partir du début des années 60) que par un ton qui se cherche. L’orientation à gauche de la rédaction rend ainsi parfois le point de vue problématique sur certains films et le côté « en réaction » aux aînés des Cahiers du Cinéma amorce là des dénigrements qui ne se verront rattrapés que bien plus tard (Alfred Hitchcock ne retrouvant grâce qu’à partir des années 70). Néanmoins Positif se détache par ses plûmes iconoclastes et une excentricité qui ira en s’estompant (un numéro des 60’s consacré à l’érotisme où les photos suggestives entrecoupent des textes imagés et fantasmés en ode aux actrices), un intérêt déjà manifeste pour la cinématographie mondiale (les cinémas tchèques, japonais, brésilien, indien ou russes étant déjà ardemment défendus dans de riches contre-rendus de festival qui deviendront une des spécialités de Positif) et de passionnants retours vers le passé. Une plume d’importance signe son premier texte en 1963 en la personne de Michel Ciment qui va bientôt marquer Positif de son empreinte.

C’est durant la seconde période qu’Edouard Sivère situe l’âge d’or de Positif. C’est là que se développe une identité forte et désormais détachée de la tutelle des Cahiers du cinéma, non sans lancer quelques querelles mordantes par rédactions et textes interposés. La revue se détache ainsi par sa défense du cinéma de genre alors dénigré par l’intelligentsia (les textes enflammés que Robert Benayoun consacre à la Hammer, les entretiens qu’il mène entre autre avec Roger Corman, Positif s’avérant un complément à la plus spécialisée et légendaire Midi-Minuit Fantastique), accompagne toutes les Nouvelles Vagues mondiales et bien que fustigeant l’intransigeance de la politique des auteurs développe une relation privilégiée avec des réalisateurs désormais estampillés Positif. L’art du long dossier thématique, des entretiens fouillés et des textes analytiques croisés se façonnera ainsi dans de grands numéros spéciaux mettant grandement en valeur un Francesco Rosi, John Boorman, John Huston et bien évidemment Stanley Kubrick. Le non rejet du classicisme et de la beauté formelle, l’expérimentation au service du récit et une curiosité intacte permet ainsi déjà de détacher une ligne Positif. Cela passera du coup par une mise au ban d’un cinéma plus à la marge ou supposé faussement moderniste dont la Nouvelle Vague Française fera les frais et plus particulièrement Jean-Luc Godard - Claude Chabrol, Jacques Rivette ou Éric Rohmer recevant un intérêt inégal au fil de la qualité de leurs productions ou des réajustements bienvenus de la revue, un François Truffaut étant plutôt bien traité dans l’ensemble.  Une approche qui lui vaudra à tort une réputation de dévouée au cinéma anglo-saxon, même s’il est vrai que Positif fut un des bastions de défenses du cinéma britannique toujours assez dénigré en France par un suivisme d’une tirade méprisante de François Truffaut. En dépit de quelques manques (Positif passe à côté de David Lean, dénigrant dès les années 50 Brève rencontre et ne creusant pas les réussites suivantes) tous les grands mouvements, auteurs et films de cette grande période notamment le Nouvel Hollywood (les Scorsese, De Palma, Coppola, Lucas étant défendus et rencontrés dès leur premières réussites) sont suivis. L’ouverture d’esprit détone avec notamment Star Wars (1977) ardemment défendu et faisant la couverture accompagné d’un entretien avec George Lucas (tordant au passage les actuelles légendes urbaines geeks comme quoi Star Wars aurait été méprisé à sa sortie en France) et Robert Benayoun peut encore s’emballer sur le cinéma porno naissant en vantant l’audace de Gorge profonde de Gerard Damiani.

Les troisièmes (1980-1996) et quatrièmes (1997-2016) périodes poursuivent le travail de défrichage (tout le renouveau du cinéma américain du début 90’s, l’émergence du cinéma asiatique de genre ou plus auteurisant des Tsui Hark, Wong Kar Wai, Chen Kaige, Zhang Yimou, Tsai Ming Liang suivis de près dès leurs débuts) et d’ouverture (un copieux dossier sur le cinéma d’action américain en 1998 à l’occasion de la sortie de Titanic de James Cameron, traité en profondeur) mais semble s’enfermer dans une certaine routine pour Edouard Sivière. La ligne Positif défendue par Michel Ciment ainsi qu’une rédaction de plus en plus élargie (et donc moins d’identité) empêche les élans et ruades d’autrefois (si ce n’est dans les éditos toujours plaisamment rentre-dedans de Michel Ciment), les choix se font moins affirmés. L’auteur dénonce du coup une forme de révisionnisme d’un Michel Ciment dont les éditos donnent dans le name-dropping célébrant la constance justesse de jugement de Positif (alors que les manques, oublis et dénigrement injustifiés par l’Histoire du cinéma sont bien rappelés par Sivière), quand il ne fait pas preuve d’un élitisme discutable dans le texte « Un canon de de plus en plus lointain » qui dénigre l’importance nouvelle accordée au cinéma de genre ou à la série B (pourtant défendue sans condescendance aux premières heures de Positif). Cette stabilité met ainsi Positif à l'abri de certains errements des Cahiers du Cinéma (sans parler de la période maoiste, la plus récente passion pour Loft Story) mais révèle aussi une frilosité qui les rend moins aventureux que leur éternel rival, qui a le mérite de tenter (les dossiers sur les nouvelles images web, sur les séries, le giallo ou en plus navrant l'incompréhensible plébiscite du tâcheron Jan De Bont). C’est passionnant pour le lecteur de la revue puisque Sivière traite autant des émetteurs (les mérites, les caractéristiques et les failles des différentes plumes) que de la teneur même des rubriques, nouvelles ou anciennes, novatrices (les texte de réalisateurs consacrés à des figures de l’histoire du cinéma) ou qui n’ont plus lieu d’être (le bloc-notes qui pouvait faire mieux connaître un rédacteur mais où il s’avère finalement bridé). Un ouvrage captivant donc, à la subjectivité assumée qui lui donne un punch et une identité qui en font plus qu’une simple rétrospective.

Paru aux éditions Euredit

3 commentaires:

  1. Merci Justin pour ce bilan de lecture.
    ^_^

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    1. Merci, ça devrait bien te passionner si tu es lectrice de Positif ;-)

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  2. Merci pour cette belle synthèse. J'ai été un fidèle lecteur abonné de Positif entre 1976 et 1985 et complété ma collec avec les années précédentes. Les années 70 sont vraiment l'âge d'or de la revue. Le cinéma de l'époque était aussi tellement riche que ça aide..Je le lis depuis de temps en temps selon les dossiers..

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