Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 18 avril 2017

Mortelle randonnée - Claude Miller (1983)


Las, comme usé par la vie, Beauvoir, surnommé « l'Œil » par la pègre, travaille dans l'agence de détectives de Madame Schmitt-Boulanger. Des années auparavant, il avait une vie de famille et une petite fille prénommée Marie mais sa femme l'a quitté, emmenant avec elle leur fille qu'il n'a jamais revue et dont il ne conserve qu'une vieille photo de petite écolière. À l'occasion d'une enquête, il croise la route de Catherine Leiris, jeune femme instable d'une vingtaine d'années qui assassine et dévalise des hommes fortunés. Plutôt que de la dénoncer, « l'Œil » décide de la protéger et il va la suivre dans son périple meurtrier à travers l’Europe.

Mortelle randonnée sera l’occasion de reconstituer l’équipe gagnante de l’immense succès Garde à vue (1981) : Claude Miller à la réalisation, Michel Audiard à l’écriture et Michel Serrault pour l’interprétation. C’est au départ un sujet porté par Michel Audiard, séduit par le roman de Marc Behm dont il achète les droits puis se lance dans l’adaptation avec son fils Jacques Audiard pour leur première collaboration. C’est donc sans la contrainte ou la perspective concrète d’un projet que se fait l’écriture, le scénario étant imprégné de la noirceur de certains des derniers travaux d’Audiard (Mort d’un pourri (1977) ou Garde à vue justement). L’auteur a été en effet profondément marqué par la mort de son fils François dans un accident de voiture et ce deuil jamais cicatrisé imprègne tout Mortelle randonnée. Cette facette se verra appuyée lorsqu’Audiard confie le scénario à Michel Serrault ayant lui aussi perdu sa fille Caroline dans un accident de la route en 1977 - et là aussi un drame qui guidera ses choix vers des rôles plus sombres et ambigus. Claude Miller va apporter une part de mystère et de recherche formelle qui amènera une facette plus atmosphérique qui empêche le film de sombrer dans la pure veine dépressive.

L’intime se marie donc à la fiction par la manière fascinante dont le scénario et la mise en image dilue habilement le drame personnel des personnages. Dès la scène d’ouverture où L’œil (Michel Serrault) cherche sa fille sur une vieille photo de classe, la douleur et le manque se font ressentir. On les associe à la longue séparation du personnage de sa femme et sa fille mais logiquement au vu de son métier de détective il aurait sans doute pu aisément retrouver cette fille qui doit désormais avoir l’âge adulte. La manière obsessionnelle dont s’exprime ce manque dans l’attitude renfrognée et le soliloque à voix haute permanent de Serrault laisse donc deviner ce deuil plutôt que la simple distance. Néanmoins cette obsession intime va trouver un objet concret dans lequel s’exprimer quand dans le cadre d’une enquête, Serrault croise la route de la meurtrière caméléonne Catherine Leiris (Isabelle Adjani).

Celle-ci change d’allure, d’identité et d’attitude au fil des amants fortunés qu’elle détrousse et assassine dans un périple meurtrier et incertain à travers l’Europe. Là encore c’est le déroulement du récit qui laissera entrevoir les fêlures de Catherine qui s’enchâssent dans sa mythomanie. L’absence et la mort tragique qu’on devine de son père s’inscrit ainsi dans les rares confidences qu’elle livre à ses futures victimes. C’est le moment où le visage opaque et tout de séduction calculatrice s’estompe pour laisser voir le regard triste, la mélancolie de la fille paumée et solitaire. Cette « mortelle randonnée » est donc une manière de d’oublier et fuir son mal-être, tout comme Serrault en la poursuivant fait un transfert sur sa propre fille en âge d’être Catherine.

Claude Miller par les trous volontaire de sa narration (ellipses improbables, transitions déroutantes, effets de montage incongrus) nous plonge dans une ambiance rêvée fascinante où le visuel plutôt que le dialogue révèle la finalité du récit. La sophistication des images s’adapte ainsi constamment au nouveau personnage que s’invente Catherine, constamment contrebalancé par ses écarts sanglants. L’étudiante aux cheveux longs et à l’allure virginale est magnifiée par les lueurs de l’aube tandis qu’elle balance pourtant d’une barque le cadavre empaqueté de sa dernière victime. Plus tard la facticité publicitaire du cadre d’une cure thermale se révèle par un travelling marquant l’uniformité des figures féminines alanguies en maillot de bain noir. Là encore tout en arborant une même superficialité, Catherine se distingue par une folie intérieure qui n’explose que le temps d’un meurtre au rasoir lorgnant sur le giallo. Et à l’inverse le seul moment possiblement sincère lors de la romance avec le riche aveugle (Sami Frey) voit le raffinement de sa demeure opposée à une Catherine presque dénuée d’artifices, Pierre Lhomme baignant le visage aimant d’Isabelle Adjani dans une lumière diaphane.

Plus l’histoire avance, plus le poursuivant et la poursuivie s’enfonce dans le rôle qui les a conduit à cette situation. Michel Serrault comme pour compenser la protection qu’il n’a pu apporter à sa fille disparue qui son rôle d’observateur pour couvrir après coup tous les meurtres de Catherine. Lorsque la fuite en avant semble peut-être pouvoir s’arrêter, c’est lui qui provoquera plus ou moins volontairement les conditions du statu quo. Quand à Catherine, lasse de semer la désolation et la mort, elle semble comme rajeunir au fil du récit pour ne plus incarner que la jeune fille vulnérable et sans re(père)s et plus la vamp insaisissable. Sorti de quelques personnages truculents (le duo Guy Marchand/Stéphane Audran), le monde extérieur se fait de plus en plus artificiel et fantomatique pour ne plus laisser exister que cette connexion, implicite, télépathique et/ou concrète entre Isabelle Adjani et Michel Serrault. 

Les personnages finissent par tisser une interaction qui ouvrent des belles possibilités d’interprétations, notamment celle que l’un ou l’autre soit déjà mort et ait inventé son poursuivant/poursuivi pour préserver son équilibre mental. C’est une idée qui marque notamment la scène où ils brisent ensemble un barrage de police côte à côte. La séparation finale tragique n’est ainsi pas une acceptation du deuil mais une manière d’accompagner l’autre dans l’oubli et « rentrer dans la photo ». Le film sera malheureusement incompris à sa sortie et se verra reprocher son esthétique « publicitaire » marquée 80’s (Claude Miller délaissant cette voie formaliste pour revenir au récit intimiste par la suite) mais demeure un fascinant classique et une proposition singulière de film noir.

Sorti en bluray et dvd chez TF1 vidéo 

 

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