Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 3 avril 2017

Invitation à la danse - Invitation to dance, Gene Kelly (1956)

Invitation à la danse occupe une place paradoxale dans la filmographie de Gene Kelly, signifiant à la fois le sommet et le déclin de l'artiste. Ses tentatives dans un registre plus dramatique le temps d'un exil fiscal en Europe rencontre l'échec avec L'Île du danger (1954) et Au fond de mon cœur (1955). Beau fixe sur New York (1955) marquera également la rupture avec son ami et partenaire de toujours Stanley Donen et il est en conflit ouvert avec la MGM qu'il quittera en 1957. L'une des raisons de ces bisbilles avec le studio est justement Invitation à la danse, tourné en 1952 mais qui restera 4 ans dans les tiroirs de la MGM qui ne croit guère au potentiel commercial du film. Gene Kelly a en effet une démarche très ambitieuse dans laquelle il souhaite éveiller le grand public à la danse en tant que pur objet d'art.

Le film divisé en trois "sketches" se déleste ainsi de la vraie trame narrative qui guidait Un Américain à Paris (1951) et Chantons sous la pluie (1952) et va plus loin dans les expérimentations de ces films notamment une narration totalement sans dialogues ou un mélange entre prise de vues réelles et animées bien plus longue et complexe que dans celle mythique de Escale à Hollywood (1945). La puissance de la MGM lui permettra également de s'entourer des meilleurs danseurs européens et américains de l'époque comme Tommy Rall, Igor Youskevitch, Tamara Toumanova ou Carol Haney. Tout cela sera au service d'un véritable triomphe chorégraphique et formel.

 Le Cirque

Pierrot est épris d'une jolie ballerine, qui, malheureusement pour lui, n'a d'yeux que pour un matamore. Le jeune homme ne se résigne pas et entame une danse pour tenter de conquérir sa belle..

Ce premier segment nous plonge dans le monde du cirque, faisant s'entrecroiser les amours tourmentés des artistes avec leurs numéros. Ce jeu sur le réel et le spectacle est amorcé dès la découverte du décor avec ses arrière-plans peints témoignant de ce va et vient entre vérité et factice. Un mime (Gene Kelly) nous apparait ainsi aussi lunaire et mélancolique qu'attendu avant qu'un vrai motif à sa peine se manifeste, son aimée (Claire Sombert) qui n'a d'yeux que pour un matamore musculeux et viril (Igor Youskevitch). Si sur scène ce désarroi amoureux prête à rire, en coulisse le cœur meurtri du mime est source d'une vraie tristesse alors que la ballerine déborde d'amour pour le danseur. Gene Kelly va donc jouer visuellement de l'allégresse amoureuse du couple et du sentiment de vide d l'éconduit. Chaque numéro du mime passe du collectif à une chorégraphie soliste comme pour témoigner de sa solitude, notamment lorsqu'il quitte la scène pour danser au milieu du public et que ses acolytes disparaissent un par un après l'avoir accompagné.

Ce jeu de miroir joue même sur son costume, surchargé d'artifices scéniques (masques, colifichets et même un tableau figurant une scène sur sa poitrine) qui lui sont arrachés comme pour le laisser nu et ramener son personnage de scène à la solitude de sa personne réelle. Les effets de montage l'éjectent même du spectacle pour laisser place à son rival dont à l'inverse l'isolement dans le cadre consiste à une mise en valeur (ce salto en équilibre sur un fil) alors que les plans chargés participe de la détresse du mime avec le clou triomphal du spectacle où le public submerge Kelly laissé à sa détresse.

Le parallèle se poursuit encore après le spectacle avec la magnifique dans amoureuse nocturne entre le danseur et la ballerine à laquelle Kelly ne peut opposer que sa chorégraphie solitaire où il mime et rêve la présence de sa partenaire. Lorsqu'il voudra reprendre la prouesse équilibriste de son rival et symboliquement occuper la même place que lui dans le cadre, ce sera l'inévitable échec. L'effet spectacle/réel s'articule aussi sur l'utilisation d'un même décor de nuit et de jour, l'énergie du spectacle et le fourmillement du public masquant le dépit amoureux tandis que les jeux d'ombres du réel redonnent tout le tour oppressant et désespéré de cette solitude.

 Le Bracelet

Un mari offre un bijou à sa femme, qui le donne à son amant, qui le remet à sa nouvelle maîtresse. En peu de temps, la parure effectue ainsi un voyage de bras en bras qui lui fait traverser l'existence de couples aussi divers que variés.

Cette seconde histoire jouera sur un charivari sentimental cruel autour d'un magnifique bracelet passant de couple en couple. Il est d'abord offert par un mari (David Paltenghi) à sa femme (Daphne Dale) qui le donnera à son tour à son amant artiste (Igor Youskevitch) qui lui aussi en fera cadeau à son modèle (Claire Sombert). Là encore le décor sert l'hypocrisie de ses relations amoureuses intéressées, passant du luxe d'un foyer bourgeois à une ruelle sordide où l'on croise des prostituées. Gene Kelly alterne l'abstraction et le dépouillement (les contours crayonnés de l'atelier de l'artiste) avec le trop-plein d'environnement stylisés (la soirée dansante, le club de jazz) où le vide comme l'abondance témoigneront d'une même superficialité.

Les transitions d'un couple à l'autre suffisent pour comprendre cela mais bien sûr Gene Kelly va le mettre en scène avec drôlerie et panache. Cela passe par les attitudes clichés des figurants lors de la fête d'ouverture puis aux chorégraphies de ces même figurants dans le club de jazz dont la parfaite synchronisation (les groupies se pâmant devant le crooner) en fait des poseurs sans âmes. On passe une nouvelle fois de la lumière aux ténèbres ici, le glamour festif de la maison bourgeoise nous conduisant dans une fange et dépravation de plus en plus appuyées notamment via les figures féminines - un clone dévergondé de Veronica Lake et la prostituée. Heureusement le processus s'inverse par les personnages et Gene Kelly lui-même incarnant un marin qui stoppe le cycle et permet une boucle finale où l'amour est sauf.

Sinbad le marin

Un matelot américain est transformé, par la grâce de la lampe d'Aladin, en Sinbad, le marin légendaire. Il vit bientôt des aventures extraordinaires dans des pays exotiques...

Ce dernier sketch constitue avant tout une éclatante réussite visuelle. Le début est un peu poussif avec cette atmosphère Mille et une nuits hollywoodienne fréquemment vu ailleurs en mieux mais ravivé par une amusante chorégraphie entre Gene Kelly et son jeune génie de la lampe devenu un double miniature et partenaire hors-pair. C'est surtout quand Kelly/Sinbad s'immisce dans cet Orient de conte en version animée que le tout s'emballe. Tous les clichés arabisant y passent avec des tonalités toujours plus différentes et inventives. On aura ainsi du pur burlesque avec un serpent menaçant amadoué par une flute charmeuse, le reptile prenant toute les attitudes aguicheuses de la danseuse orientale. Le jeu enjoué et expressif de Gene Kelly fait merveille face au grotesque de la chose, avant de retrouver ses plus beaux élans romantiques face à une Shéhérazade animée.

La grâce, la féérie et une chorégraphie délicate où la perfection technique ne cède jamais à l'émotion en font une extraordinaire séquence. La conclusion en apothéose est une pure folie jouant de toutes les possibilités de formes, d'espace et de mouvement de l'animation pour un jeu de chat et la souris jubilatoire entre Gene Kelly et deux gardes aussi menaçants que ridicules. Prévu pour une sortie en 1954, le film est donc décalé de deux ans par la MGM qui le sort dans l'indifférence et pour un échec commercial cruel. La critique ne s'y trompera pas cependant avec Ours d'or du meilleur film remporté la même année. Aujourd'hui on en retiendra définitivement une merveille qui contient parmi les plus grands numéros musicaux de Gene Kelly.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

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