Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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samedi 11 mars 2017

Cria Cuervos - Carlos Saura (1976)

Un été, trois sœurs dans une vieille demeure madrilène. Il y a là leur père, militaire de carrière, leur tante qui les élève et leur grand-mère paralysée et mutique. Dans ce milieu étriqué, Ana étouffe. Elle se réfugie dans ses rêves et ses souvenirs. Elle vit toujours à l’ombre du décès prématuré de sa mère et recherche au fond d’elle sa présence toujours vivace qui pourrait lui apporter le réconfort et la volonté de lutter contre ce monde en décrépitude.

Carlos Saura avait déjà exploré le rapport au passé, au souvenir et à l'enfance dans Le Jardin des délices (1970) et La Cousine Angélique (1974) mais comme allégorie/métaphore d'une critique du régime Franquiste. Cria Cuervos, œuvre maîtresse du réalisateur poursuit cette approche mais en rendant la facette politique plus sous-jacente pour se concentrer sur les tourments de l'enfance. L'ouverture donne le ton avec cette scène qui, entre rêverie, réalisme cru et psychanalyse dessine les enjeux du film. La jeune Ana (Ana Torrent) est réveillée un petit matin par les cris mêlés de plaisir et râle d'agonie venant de la chambre de son père dont s'enfuit une jeune femme dénudée. A l'intérieur son père terrassé par une attaque cardiaque. L'onirisme de la scène est amplifié par cette atmosphère incertaine de l'aube tandis que le sexe revêt un visage traumatisant pour la fillette.

L'ensemble du film oscille ainsi entre le quotidien douloureux et le passé rêvé d'Ana, celui où sa mère (Geraldine Chaplin) était encore vivante. Carlos Saura joue de la répétitivité et de la confusion pour illustrer le refuge du rêve de l'héroïne, apaisant mais amenant des retours de plus en plus cruels au réel. Les situations anodines qui ramènent Ana au souvenir se font fugaces puis de plus en plus élaborées, illustrant toujours de magnifiques moments de tendresse maternelle : quelques notes de piano puis une comptine pour l'aider à dormir, un délicat brossage de cheveux.

L'éveil la ramène aux trois mères de substitutions du récit : la ronde et affectueuse domestique Rosa (Florinda Chico) pour la facette de la maternité la plus charnelle, la grand-mère (Josefina Díaz) muette et bienveillante et la tante Paulina (Mónica Randall) prenant en charge Ana et ses sœurs. Les efforts maladroits de Paulina de s'attirer l'affection des filles jouent à la fois sur ces retours au réel où chaque répétition d'un souvenir ramène son visage à la place de la mère défunte. C'est aussi une manière de montrer le visage de cette bourgeoisie espagnole de la fin du Franquisme, tout en redéfinissant ce rapport douloureux au sexe et à la mort d'Ana. Paulina s'amourache ainsi de Nicolas (Germán Cobos) ancien frère d'armes du père d'Ana et dont l'épouse est la fameuse jeune femme en fuite de la scène d'ouverture.

Tout ce qui aura un lien à une affection possible pour la fillette sera ainsi rattaché à la mort, de son lapin qui va mourir aux simples jeux de cache-cache avec ses sœurs où le perdant doit simuler l'agonie. Le point de vue oscille plusieurs fois entre Ana enfant et adulte (incarné par Geraldine Chaplin toujours) où un certain recul est amené sur les évènements. Un même souvenir garde le regard émerveillé de l'enfant tandis que l'adulte s'y remémore les infidélités de son père. Le cocon de l'enfance est ainsi souillé par la vérité que redéfini l'adulte notamment sur le couple malheureux de ses parents.

La maison que l'on ne quitte que rarement symbolise ce cocon tout en étant un mausolée de ce passé mais Carlos Saura ménage néanmoins de vrais moments de candeur et innocence sincère (cette charmante danse improvisée entre les soeurs), notamment quand intervient la ritournelle mélancolique Porque te vas de Jeannette. La fin ouverte voit la mort perdre de son emprise dans un ultime rebondissement et l'horizon s'ouvre enfin à l'extérieur avec cette rentrée scolaire montrant un futur possible plus apaisé.

Sorti en dvd zone 2 français chez Carlotta 

1 commentaire:

  1. s'enfuit une jeune femme dénudé (dénudée).

    rapport douloureux au sexe et à la mort d'Ana. de la mère d'Ana.

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