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jeudi 11 août 2016

Stress-es tres-tres - Carlos Saura (1968)


Fernando, architecte, emmène son associé, Antonio, visiter des terrains à bâtir à Almeria. Son épouse, Teresa, les accompagne. Ces deux derniers semblent bien complices. Seraient-ils amants, ou Fernando serait-il victime de ce fameux « stress » dont l'Espagne commence tout juste à parler ?

Stress-es tres-tres est le deuxième volet de la « trilogie du couple » de Carlos Saura et constitue un vrai film jumeau de l’inaugural Peppermint frappé (1968). On y retrouve la critique de la bourgeoisie espagnole à nouveau à travers un triangle amoureux fait de frustration et de jalousie. L’influence d’Antonioni déjà perceptible dans Peppermint frappé s’affirme encore plus avec l’aridité du récit mais aussi de l’environnement parcouru par les protagonistes. Fernando (Fernando Cebrián) est en architecte effectuant un périple en voiture en compagnie de son épouse Teresa (Geraldine Chaplin) et son ami et associé Antonio (Juan Luis Galiardo) en vue de visiter des terrains à Almeria. Dans Peppermint frappé, c’est le protagoniste à l’imaginaire obsessionnel et maladif qui se trouvait rejeté du triangle amoureux, le couple constituant une entité unie face au meilleur ami. Carlos Saura inverse ici le rapport de force avec la jalousie naissante de Fernando face au rapprochement qu’il observe entre sa femme et son ami. Fernando et son tempérament austère, ses préoccupations terre à terre, va donc au fil du trajet se trouver exclu devant la fantaisie complice de Teresa et Antonio.

L’isolement et sècheresse des décors montagneux à perte de vue exacerbe la paranoïa de Fernando qui fantasme et façonne presque par son attitude la proximité d’Antonio et Teresa. Il les abandonne seuls sur la route pour mieux les espionner à la dérobée armé d’un objectif, chaque échanges, regard et geste partagé devient aveux d’adultère sous le regard du jaloux. L’épisode d’un accident de la route sanglant devant notre trio impuissant va exacerber les émotions et la tension naissante. Saura exprime cette idée par la dimension infantile qu’il attribue à cette bourgeoisie espagnole. Fernando se comporte en gamin capricieux et colérique quand Teresa repousse ses inhabituelles et maladroites manifestations d’affection. Dès lors il tente de s’imposer à son épouse par une virilité inappropriée, cherchant à être obéit sur des détails futiles et faisant carrément le coq lors d’une longue scène où il la tourmente à moto. Ce sont ces seuls moyens d’attirer l’attention, quand son rival exprime sa masculinité sous un meilleur jour (son physique avantageux en maillot de bain et Teresa qui vient naturellement lui passer de la crème solaire) et faire preuve d’une décontraction et d’un humour bien plus attirant que son attitude taciturne. 

Peu à peu on comprend que cette infantilité (on passe en fait du déjà immature marivaudage adolescent à la vraie régression en enfance) s’étend au trio entier chacun à sa manière, le désert d’Almeria renvoyant au vide de leur caractère. Le final sur la plage sert de révélateur à la vacuité qui guide les personnages. Geraldine Chaplin réunit en seul rôle la dualité de sa double interprétation de Peppermint frappé, sa distance désinvolte face à son époux se faisant alors qu’elle porte une perruque blonde. Lorsqu’elle l’enlève à la plage et redevient brune, cette relative part de mystère s’estompe pour laisser voir une femme-enfant exaspérante (perceptible mais plus mesurée quand elle était blonde) soumettant ses compagnons à des jeux de plage stupides qui ne font qu’accroitre leur rivalité. Le caractère léger et spirituel d’Antonio et ses remarques semblent également tourner à vide faute d’audience, pour simplement se faire cruelle envers Fernando. Sans paraître particulièrement séduit par Teresa, il s’amuse de voir son ami ruminer. Le fantasme à réaliser était moteur d’un surprenant passage à l’acte dans Peppermint frappé, il ne révèlera qu’un peu plus l’inutilité des protagonistes de Stress-es tres-tres

L’adultère que s’est imaginé et/ou a provoqué Fernando, il refusera d’y faire face si ce n’est dans une rêverie finale explicite par sa pellicule surexposée. Le rival s’y trouve harponné voire éperonné comme dans une corrida, mais cette catharsis ne peut qu’être imaginée. Comme l’aura souligné un dialogue, la tension qui anime Fernando ne vient pas de son amour pour Teresa mais de la conscience de ses possessions, de sa situation avantageuse dans lesquels il l’inclut et qu’il ne souhaite pas perdre. Peppermint frappé était une œuvre sur la possession qu’on souhaite s’approprier, Stress-es tres-tres sur celle qu’on veut conserver, le fétichisme du film précédent étant remplacé par le matérialisme - et où on pua toujours faire une interprétation du franquisme, le reniement remplaçant le passage à l'acte possiblement différé dans l'épilogue ambigu. L’ouverture du film avec ses extraits d’émission de radio expliquant la notion de stress par les nouveaux besoins et mode de vie urbain avait annoncé la couleur. Le film est plus hermétique est difficile d’accès que Peppermint frappé dont la forme et l’approche de thriller était plus immédiatement séduisante, mais ne s’en avère pas moins fascinant.

 Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa

Extrait

 

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