Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

jeudi 22 octobre 2015

Driver - The Driver, Walter Hill (1978)

À la sortie d'un casino, une jeune femme (Isabelle Adjani) est témoin d'un braquage effectué par deux gangsters qui parviennent à échapper à la police grâce à l'habileté du chauffeur de la voiture. Elle refuse de donner leur signalement à la police et parvient à se lier avec le chauffeur (Ryan O'Neal). Ceci afin de tenter de lui dérober son butin...

 Walter Hill avait fait sensation le temps d’un début de carrière fulgurant où l’on vit en lui le digne successeur des réalisateurs hollywoodiens "francs-tireurs" comme Samuel Fuller, Robert Aldrich ou plus tardivement Sam Peckinpah pour lequel il signera le scénario de Guet-apens (1972). Walter Hill se partage en fait entre la tradition des auteurs de l’âge d’or hollywoodien (apposer sa patte tout en délivrant le spectacle le plus satisfaisant et rentable pour le studio) et donc les francs-tireurs précités dont il reprend la volonté de bousculer et de réinventer les genres qu’il aborde. Cette réinvention ne s’inscrit pas dans une logique politique (Aldrich), sociale (Fuller) ou humaniste (Peckinpah), mais purement post-moderne. Hill pousse ainsi à l’extrême dans ses premiers films l’idée de ligne claire narrative classique avec des intrigues minimalistes dans des films déclinant plus que reproduisant un genre.

Le Bagarreur est un mélodrame de la Grande Dépression s’astreignant au maximum de toute sentimentalité, ou encore Les Guerriers de la nuit emprunte une trame de western dans un pur environnement urbain. De façon plus large, chez Walter Hill les personnages vont d’un point A à un point B dans une économie de moyens tant narratifs (comme déjà évoqué) que visuels - la simplicité redoutable de définir l’arène par les plans d’ensemble, faire surgir l’impact des coups par le découpage et ressentir la souffrance des boxeurs avec la caméra portée dans le dernier combat du Bagarreur - et psychologique dans la caractérisation sommaire des personnages ne se définissant que dans l’action. Walter Hill va pousser ses principes vers une forme d’abstraction dans The Driver, avec l’aval d’un de ses mentors d’ailleurs puisqu’il enverra le premier jet du script à Raoul Walsh qui lui témoignera son enthousiasme.

Cette logique post-moderne de Walter Hill s’illustrera par exemple en définissant le cadre du récit par une forme d’intemporalité (l’histoire de Sans retour (1981) pourrait à quelques détails près se dérouler à n’importe quelle époque) mais aussi la création d’une sorte de réalité alternative. Si le réalisateur façonnera par la suite cette réalité alternative dans la surenchère - les gangs à l’apparat farfelu des Guerriers de la nuit, l’univers rétro-futuriste des Rues de feu (1984) - avec The Driver il pousse au contraire au summum l’épure déjà manifeste de son premier film. Le flic, la fille, le voyou, la voiture et la ville. On pourrait presque résumer The Driver à ces mots tant l’ambiance nocturne hypnotique, la sécheresse du récit dénuée de tout le superflu (dans la bande-annonce on voit un baiser entre Adjani et Ryan O'Neal, évidemment coupé par Hill qui ne s’embarrasse pas d’une histoire d’amour) et la tonalité glaciale forment un ensemble fascinant et redoutablement efficace.

Le scénario est un squelette de polar empruntant grandement au Samouraï de Jean-Pierre Melville. Tout comme Delon, Ryan O'Neal incarne un expert mutique et rigoureux dans son domaine (un chauffeur virtuose pour les malfrats), à l’existence janséniste qui ne trouve une raison d’être que dans l’adrénaline et le vrombissement nocturne des moteurs. Alors que Melville montrait progressivement les fêlures de son professionnel quand son univers se déréglait, Hill rend son héros de plus en plus indestructible dans l’adversité.

Les difficultés (le témoin gênant que constitue Isabelle Adjani, le harcèlement du flic Bruce Dern, les acolytes récalcitrants) ne sont que des piments de plus pour son gout du jeu et du risque - qui le voit foncer tête baissée dans le piège tendu par Bruce Dern par simple attrait du défi. Cette dimension jouée s’étend au film tout entier, sorte de plateau ludique et archétypal du polar. Du coup, tel des pions - qui retrouvent les traces les uns des autres avec une facilité déconcertante tout au long de l’histoire -  les protagonistes s’y résument à leur fonction sans jamais être nommés (le driver/cowboy, le flic/shérif et la fille), tout comme la ville où se déroule l’action - le film fut tourné à Los Angeles.

Le film pourrait ainsi aisément se regarder et se comprendre en coupant le son. Ryan O’Neal (reprenant un rôle initialement prévu pour Steve McQueen) prolonge l’idée du héros mutique à la Charles Bronson dans Le Bagarreur ; mais quand ce dernier semblait dégager un lourd passif sous son air taciturne (le contexte de Grande Dépression aidant), le Driver se soustrait au monde réel (dans le récit comme dans l’approche du film) par ses traits presque enfantins par rapport à son environnement criminel et détonne en comparaison de ce qu’aurait donné une star plus "burinée" dans le rôle. Les airs à la fois absents et déterminés de l’acteur en font autant un pur héros badass qu’une coquille vide, une facette qu’avait su exploiter Kubrick qui en faisait à la fois un héros romantique et sa totale antithèse dans Barry Lyndon. La confusion classique du genre entre gendarmes et voleurs n’en est que plus forte grâce au flic teigneux et aux méthodes douteuses qu’incarne Bruce Dern avec truculence. Isabelle Adjani par sa présence éthérée et son charisme amène une vraie fascination pour le personnage féminin, son premier rôle américain choisi par admiration pour Le Bagarreur et l’absence de caractérisation liée à sa nationalité française.

 La tonalité ludique sous l’apparente froideur se décuple lors des deux fabuleuses séquences de poursuite en voitures qui ouvrent et concluent le film. La ville y devient un immense terrain de jeu nocturne à ciel ouvert plié à la volonté du plus joueur justement. L’espace urbain s’y résume à des ruelles désertes et des parkings désaffectés où Walter Hill se plait à jouer avec les genres. La première poursuite évoque presque la chorégraphie d’un combat aérien avec l’agencement savamment étudié des véhicules dans le cadre, son jeu sur les esquives et la mise en valeur de la dextérité et du sang-froid du Driver - on découvrira là l’ancêtre de « la dégonfle » de Last Action Hero (1993) de John McTiernan.

On y retrouve les préceptes évoqués pour les combats du Bagarreur : un environnement parfaitement défini dans sa topographie amenant sur la résultante spectaculaire d’un impact/d’une cascade et la notion de point de vue démontrant la supériorité du Driver sur ses adversaires (les conducteurs des voitures de police restent anonymes, tout comme la menace qu’ils représentent quand chaque manœuvre du Driver au volant s’inscrit dans le découpage de l’action).

La seconde poursuite, tout aussi efficace, joue plus sur un registre de suspense et d’épouvante où le Driver serait le boogeyman, Hill y plaçant aussi comme souvent du western qui s’ignore (la partie de cache-cache dans l’entrepôt pouvant s’imaginer dans des rocheuses avec un même déroulement) par une notion de duel plus prégnante où deux as du volant se jaugent et se font face. Le parti pris minimaliste fait merveille, le score tendu du maître de la paranoïa 70’s Michael Small laissant place à une bande-son tout en crissements de pneus et tôles froissées. La conclusion ironique viendra saluer l’approche amusée et abstraite (l’apparition finale de Bruce Dern et d’une horde de flics) d’une œuvre troublante et insaisissable.

L’héritage du film est vaste pour l’amateur de polar. On peut y voir dans son urbanité nocturne et son héros méthodique l’ancêtre du Michael Mann du Solitaire (1981) et de Collateral (2004). Nicolas Winding Refn tentera d’ailleurs maladroitement de fusionner le spleen du Solitaire et le post-modernisme de The Driver avec le bien nommé Drive (2011), décalque pas totalement convaincant. Le monde du jeu vidéo s’est également emparé du film avec le classique de Playstation 1 Driver paru en 1999 et où nous incarnons un as du volant à la solde de la mafia dans des poursuites aux quatre coins des USA. La parenté ne fut jamais assumée mais se devine aisément, notamment lorsque le joueur pilote le même modèle vintage de Chevy aperçu dans le film.

Sorti en dvd zone 2 français et bluray à L'Atelier d'images et The Corporation

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire