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samedi 1 août 2015

L'Extravagant Mr Ruggles - Ruggles of Red Gap, Leo McCarey (1935)

Paris en 1908. Ruggles est le valet de chambre anglais du comte de Burnstead. Lors d'une soirée arrosée, le comte joue au poker avec un couple d'américains et « perd » Ruggles. Le valet se voit bien malgré lui obligé de suivre les Floud, ses nouveaux patrons, aux États-Unis. Après le choc des cultures, il va prendre goût à l'égalité des conditions que lui propose la société américaine.

L'Extravagant Mr Ruggles constitue le premier grand film de Leo McCarey, celui où son génie comique s’entremêlera habilement à une fable sociale à la Capra. McCarey, passé à la réalisation en 1929 avait déjà remporté plusieurs succès commerciaux mais où il était le plus souvent l’illustrateur en retrait de personnalités comiques hautes en couleur : les Marx Brothers dans Soupe au canard (1933), W.C. Fields pour 'Six of a kind (1934), Mae West sur Ce n’est pas un péché (1934) ou encore Harold Lloyd sur Soupe au lait (1936). L'Extravagant Mr Ruggles mélange ainsi l’énergie comique et la veine dramatique engagée qui fera le sel des réussites à venir. Le film est la troisième adaptation du roman éponyme de Harry Leon Wilson parut en 1915 après celles muettes de 1918 et 1923.

Dans les premières œuvres de McCarey, l’énergie naissait d’un mélange habile entre l’humour, l’émotion et le monstrueux à travers les personnalités comiques mises en scène (on peut ajouter Laurel et Hardy à celles précitées qui travaillèrent avec le réalisateur). Le facteur émotion parvient à s’ajouter harmonieusement pour la première fois avec L'Extravagant Mr Ruggles car ce croisement sert l’histoire et non plus une vedette à mettre en valeur qui vampiriserait le récit. Mr Ruggles (Charles Laughton) valet de chambre dévoué auprès du comte Burnstead (Roland Young) depuis des générations a la surprise de découvrir que son maître l’a joué et perdu au cours d’une partie de poker arrosée. 

Les gagnants ? Effie (Mary Boland) et Egbert Floud (Charles Ruggles, truculent) un couple de nouveau riche américain, l’épouse très snob souhaitant inculquer un semblant de bonnes manières à son mari au contact du valet. Le film se divise en deux parties, la première étant située en Europe, à Paris. McCarey y joue donc de l’opposition entre les rustres américains et la sophistication du Vieux Continent. Là encore on jouera sur cet équilibre entre monstruosité et tendresse.

Egbert est ainsi une quasi caricature de « hillbilly » avec ses costumes criards à carreau, sa moustache épaisse et son timbre de voix vociférant, le summum étant atteint lorsqu’il croise un ami de sa ville en plein Paris et de joie se met à hurler divers cris d’animaux). Effie dans ses tentatives de respectabilités est tout aussi ridicule, minaudant et plaçant un mot de français d’un air pincé dès qu’elle le peut. Ruggles est rapidement dépassé mais il ne le sait pas encore, il aura plus à apprendre de ses nouveaux maîtres péquenauds que l’inverse. Egbert n’a que faire de l’étiquette et traite Ruggles en égal, ce dernier se déridant peu à peu et c’est par le gag que cela se manifestera d’abord à la suite d’une cuite mémorable. Charles Laughton offre un contraste parfait entre son attitude rigide et son visage rondouillard ne demandant qu’à se montrer plus jovial et lorsqu’il lâche prise pour la première fois sous l’emprise de l’alcool on jubile de voir l’armure se fissurer. 

La seconde partie se déroulera dans le « Nouveau Monde » en Amérique et plus précisément dans la petite ville de Red Gap. Le rigorisme et l’opposition de classe a certes perdurée à travers quelques personnages guindé comme l’infâme Belknap-Jackson (Lucien Littlefield) mais cette terre sera celle de l’émancipation pour Ruggles. L’accueil viril, tendre et chaleureux des locaux le traitant comme leur égal vont lui faire prendre conscience que lui aussi est « quelqu’un ». La dévotion et l’oubli de soi du valet peut laisser place aux aspirations de l’homme (notamments ses amours alors que cet effacement le rendait asexué au départ) dans ce monde de tous les possibles, l’Amérique. McCarey amène cet éveil avec énergie et spontanéité, ce sentiment d’appartenance se traduisant en deux scènes magistrales. 

D’abord celle où les locaux s’interrogent sur la nature du discours de Lincoln sur l’égalité lors de la bataille de Gettysburg pour appuyer la conviction de Ruggles. La caméra traverse l’ensemble du bar sans qu’aucun des américains natif ne sache le contenu du discours et c’est Ruggles (comme souvent c’est l’étranger reconnaissant à sa terre d’accueil qui en connaît le mieux l’histoire) qui va le déclamer avec solennité magnifiquement servi par le timbre habité de Charles Laughton. La seconde manifestation d’indépendance interviendra lors du final où pris de haut une fois de trop par Belknap-Jackson, Ruggles va se rebiffer avec énergie. Le domestique n’est plus et les dogmes de la vieille Europe avec, c’est un américain libre de sa destinée. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Bac Films 

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