Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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jeudi 5 février 2015

Le Fanfaron - Il Sorpasso, Dino Risi (1962)

À Rome, le jour férié du quinze août, la ville est déserte. Bruno Cortona (Vittorio Gassman), la quarantaine vigoureuse, amateur de conduite sportive et de jolies femmes, déambule en voiture, une Lancia Aurelia B24, à la recherche d’un paquet de cigarettes et d’un téléphone public. Roberto Mariani (Jean-Louis Trintignant), un étudiant en droit resté en ville pour préparer des examens, l’accueille chez lui. Sous l’impulsion de l’exubérance et du sans-gêne de Cortona, ils entreprennent un voyage en voiture qui les emmènera vers des destinations toujours plus lointaines.

Dino Risi signe un de ses chef d’œuvre avec Le Fanfaron, instantané parfait de cette Italie du boom économique en ce début des 60’s. L’idée du film lui sera venu lorsque à l’image de son héros il se sera fait embringuer dans deux périples improvisés en voiture par des personnages exubérant dont pour l’un d’eux son futur producteur du Fanfaron, Pio Angeletti. Risi fera appel à  Ettore Scola et Ruggero Maccari pour coucher cette amorce de trame en un scénario cohérent. Il pense d’abord à Alberto Sordi pour le rôle-titre mais ce dernier décline, laissant la place à Vittorio Gassman qui trouve là un de ses plus grands rôles et s’impose définitivement comme acteur comique puisque hors du giron de Mario Monicelli qui contribua à sa mue avec Le Pigeon (1958) et La Grande Guerre (1959).

Le Fanfaron est un road movie enlevé où nous suivrons les compagnons de route les plus opposés qui soi. Quarantenaire tapageur et roublard, Bruno Cortona (Vittorio Gassman) va en ce jour férié du quinze août embarquer dans un périple improvisé le jeune et introverti Roberto Mariani (Jean-Louis Trintignant). On devinera assez vite la malice de Bruno vivant d’expédiant et sans vrai métier tandis que Roberto est issu d’un milieu plus bourgeois et prépare un concours de droit. Roberto se laisse entraîner malgré lui mais sa timidité l’empêche de s’opposer trop fermement à un Bruno plein d’allant. Ses révisions sont finalement un prétexte à sa vraie peur de sortir, d’affronter le monde extérieur (dont il reste à distance craintive à l’image de sa jolie voisine qu’il guette de loin à sa fenêtre) et finalement son bruyant acolyte servira d’élément déclencheur. Bruno dissimule aussi sous son exubérance une vulnérabilité qui se révèlera au fil du voyage mais qui s’amorce en sourdine le temps de quelques courts moments comme lorsqu’il renonce à aller draguer les deux belles touristes allemandes.

La vision d’une Rome déserte en ouverture annonce le climat de langueur estivale qui traversera le récit. Cette Italie insouciante et prospère connaissant le plaisir des congés payés (voir la différence avec Dimanche d'août (1950) de  Luciano Emmer au ton très différent et où le seul dimanche était chômé justement), Risi l’illustre de diverses manières. La route que retrouvent toujours nos héros est le symbole de cette quête et nouveau droit à l’évasion, un acquis sous forme de bitume qu’ils savourent à toute vitesse et à coup de klaxons endiablés. Les rencontres et environnement offrent ainsi un portrait parfait de l’Italie d’alors, entre restaurants d’autoroute bondés, plages surpeuplées et bal populaire improvisés sur les bords de route. Roberto va se dérider progressivement, Jean-Louis Trintignant offrant une prestation parfaite en candide introverti découvrant la vie. Gassman est tout aussi juste, offrant une figure plus « réaliste » et attachante que les personnages outranciers incarnés chez Monicelli et représente une vraie figure de l’homme italien d’âge mûr fêtard, dragueur et un peu macho. En dépit de l’opposition de caractères, les deux personnages se complètent idéalement, tirant l’autre vers le haut.

Ils ont surtout en commun de ne pas être à leur place dans la mentalité de l’Italie d’alors. L’éveil bafouée de Roberto sera ainsi facteur d’ouverture aux autres (le jeu de Trintignant se faisant de plus en plus expressif, les sourires plus rayonnants) mais aussi d’une perte d’innocence et des derniers sursauts de l’enfance. La séquence chez l’oncle estompe donc le souvenir émerveillé de la tante dont il était amoureux, la maison de vacance qu’il se plaisait à explorer lui semble bien terne. Ses oncles et tante si aimant dans son souvenir semblent même avoir été infidèles et leur fils illégitime. C’est Bruno par son amusement qui apporte cette dimension plus désabusée sous l’humour, une certaine intolérance se devinant en filigrane (les blagues sur le serviteur supposés gay, son refus de prendre une autostoppeuse noire…). Sa rencontre hasardeuse avec des créanciers et la découverte de son foyer abandonné va alors montrer l’instabilité de sa propre existence.

Si à travers Roberto on découvre une Italie « d’avant » moins parfaite que dans les souvenirs, Bruno sera lui le vecteur d’une Italie « d’après » guère reluisante. Le miracle économique aura amené un culte de l’argent cynique et inhumain au sein de la population qui annonce un capitalisme glacial. Ce sera d’abord en surface avec le discours de l’homme d’affaire au restaurant qui n’a que son argent à amener à la conversation tandis qu’en parallèle Bruno essaie de séduire son épouse. Même dans ses défauts, Bruno reste un être aux plaisirs simple et plus terre à terre. Le rejet de son épouse (Luciana Angiolillo), l’union intéressée de sa fille (Catherine Spaak délicieuse) avec un homme plus âgé nous dépeint un monde sinistre où la situation prime avant tout. Source de fanfaronnade pour les plus nantis, objet de tous les sacrifices pour les démunis, l’argent domine tout. Risi dépeint des moments charmants entre Roberto et sa fille mais le monde qui les entoure a vicié toute possibilité de cellule familiale classique (à l’image de ce moment troublant où Gassman tente de séduire Catherine Spaak sans la reconnaître avec sa perruque).

Cette Italie festive (la bande son est truffée de tubes de l’époque) libérée s’avère donc une illusion et malgré leur entrain intact, le ton ne peut peux être le même qu’au départ lorsque Bruno et Roberto reprendront la route.Un retour au réel qui se fera brutal avec une scène finale choc et à contre-courant de toute la joie qui a précédée. 

Sorti en dvd zone 2 français chez SNC/M6 Video

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