Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 21 avril 2013

Tierra - Julio Medem (1996)


Quelque part dans cet immense océan noir qu'est le cosmos, il existe une île de collines à la terre rouge, sur laquelle débarque Angel Bengoelxeo, un homme au passé obscur et souffrant d'un dédoublement de la personnalité. Il est chargé de désinfecter les vignes par fumigation afin de stopper l'épidémie de cochenilles qui donne au vin un étrange goût de terre. Il trouvera la possibilité de résoudre son problème au contact de deux femmes, Mari et Angela.

Avec ce troisième film, Julio Medem délivre un nouvel ovni dont il a le secret et où s'affirme avec grâce sa patte dans une tonalité moins rugueuse que L'écureuil rouge, annonçant les réussites plus stylisée à venir. Le film s'ouvre une voix-off mystique nous expliquant sur un ton exalté les mystères enfouis dans l'immensité des étoiles et du cosmos, la caméra voguant vers ces étoiles jusqu'à redescendre vers les nuages puis jusqu'à l'île à la géographie incertaine où se déroulera l'action puis s'enfonçant dans les terres viticoles où sévissent les cochenilles.

La voix-off s'humanise alors pour s'exprimant à travers le visage d'Angel (Carmelo Gomez), agent agricole venu désinfecter les vignes. Comme souvent chez Medem les grands espaces naturels sont un terrain de quête spirituelle pour les personnages et ici Angel devra résoudre son dédoublement de personnalité. Quelques indices sont distillés tout au long du récit sur le passé d'Angel, submergé par son esprit en ébullition et qui a déjà effectué des séjours à l'asile.

La tirade d'ouverture sur l’infini cosmos figure autant la destinée avec cette histoire affirmant déjà le gout de Medem pour le récit imprévisible aux multiples possibilités que la complexité de l'esprit humain. Partant de la schizophrénie d'Angel, Medem déploie la thématique du double tout au long du film. Double comme la personnalité mi- ange, mi- démon d'Angel homme doux et paisible cédant soudain aux pulsions de son mauvais génie. Le script rend encore plus complexe cette facette à travers les deux femmes désirées par Angel. Sa part d'ombre est attirée par la douce, pure et bienveillante Angela (Emma Suarez) tandis que son côté le plus attachant et sincère penche vers la torride et sulfureuse Mari (Silke).

Ce côté sombre s'apaise avec la douceur d'Angela tandis que l'innocence trop abstraite de sa facette "gentille" s'humanise avec le désir brûlant provoqué par la sensuelle Mari. Medem dédouble ainsi la femme typique de son cinéma (la Paz Vega de Lucia et le Sexe en étant l'archétype le plus parfait) avec ces deux personnages à la fois amies/amante, vulnérable/protectrice, innocente et dévergondée. Ce n'est qu'au prix d'un choix impossible qu'Angel résoudra ces problèmes mais Medem se garde bien de nous orienter vers l'une ou l'autre. La sensibilité de chacun guidera ses attentes pour l'issue mais Medem caractérise ses deux héroïnes de façon à rendre les deux voies positives et sans jugement moral.

L'écureuil rouge montrait encore la poésie visuelle de Medem dans une forme assez abrupte mais ici le scope majestueux, la photographie ocre de Javier Aguirresarobe et la musique envoutante de Alberto Iglesias confère une splendeur de tous les instants à Tierra. Les scènes nocturnes sont assez extraordinaires dans ce sens, totalement irréaliste et évoquant un rêve éveillé où Angle avance en somnambule tandis que ce paysage désertique donne des allure de planète mars au décor (Angel évoquant un cosmonaute avec sa tenue de travail). Ce questionnement sur le double accompagne aussi la description de cette nature et de ces habitants.

Cet environnement apaise Angel mais stimule aussi sa schizophrénie, la foudre frappe au hasard pour le meilleur et pour le pire (magnifique double mort du berger en ouverture) et les autochtones s'avèrent tour à tour bienveillant et hostile (Karra Elejalde terrifiant en Patricio à la gâchette facile). Le montage en chausse-trappe du début du film annonce cela avec ces scènes amusantes (la première rencontre avec Patricio, la brebis sur la route) s'interrompant avant leur issue pour prendre un ton bien plus trouble une fois vue dans leur entier par la suite.

La conclusion est somptueuse dans son hypnotique indécision, Angel s'égarant encore plus en pensant enfin choisir avec Medem rendant les deux femmes incroyablement charnelles dans un registre totalement différent avec un érotisme moite et élégant. L'esprit ou la chair, le désir ou l'amour, l'aventure ou la sérénité, Medem opte pour tout et rien en même temps dans une fin ouverte onirique dont il a le secret.

Sorti en dvd zone 2 espagnol et doté de sous-titres français. Pour ceux qui veulent découvrir Medem d'un bloc et pour pas trop cher il existe un coffret espagnol sous-titré français très abordable réunissant l'intégrale de sa filmographie (sauf "Room in Rome") ce qui peut être intéressant vu que certains film n'existe pas en dvd français ou sont épuisés et hors de prix


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