Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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samedi 23 février 2013

Room in Rome - Habitación en Roma, Julio Medem (2010)


Lors d'un séjour à Rome, deux étrangères de passage se rencontrent. L'une (Natasha) russe est hétérosexuelle et l'autre (Alba) espagnole est homosexuelle. Une passion torride naîtra entre les deux femmes qui se retrouveront dans une chambre d'hôtel à huis-clos pour le dernier jour de leur séjour à Rome.

Room in Rome est l’œuvre du renouveau pour Julio Medem, celle où il parvient à exprimer sa singularité de façon humble et posée sans pour autant avoir à se renier. L’exercice du huis clos est fondamental dans cette mue, tant le cinéma de Medem repose habituellement sur l’extension du regard, tant géographique que mental. Dans ses premiers films, le cinéaste basque déployait un lyrisme rugueux bercé d’une étrangeté jouant sur la répétitivité, le temps qui passe et la destinée avec l’envoûtant Vacas (1991) – transposition officieuse au pays basque de Cent ans de solitude (1967) de Gabriel García Márquez –, tandis qu’une romance alambiquée était à l’œuvre dans L’Écureuil rouge (1993) et Tierra (1996), avec son héros à la personnalité multiple. L’onirisme singulier de Medem trouverait un écrin plus accessible et romanesque dans Les Amants du cercle polaire (1998) et Lucia et le sexe (2002), les films de la reconnaissance internationale. Les audaces formelles, les questionnements philosophiques et les figures féminines flamboyantes propulseraient le cinéaste au sommet de son art. Cette outrance serait nettement plus déséquilibrée dans Caotica Ana (2007), grand film malade réalisé en hommage à sa sœur décédée. Medem y ose tous les excès, le ridicule côtoyant la grâce d’une scène à l’autre dans une œuvre questionnant les origines et l’état du monde, tout en idéalisant la Femme dans l’universalité et l’intime. L’accueil critique glacial ne saluerait guère les excès de cet OVNI cinématographique, invitant pourtant à une vraie remise en question. Le cinéaste, qui devait se reconstruire après cet écart, nous offrira un bijou de sensibilité et de romantisme avec Room in Rome. Au sein d’une intrigue resserrée, respectant les règles d’unité de temps et de lieu, on retrouve ici la recherche esthétique et la force mélodramatique de Les Amants du cercle polaire tout comme la sensualité et l’abandon aux sens de Lucia et le sexe.

Room in Rome débute pourtant sous une aune faussement superficielle, avec ces deux jeunes femmes se retrouvant un peu par hasard entre les murs d’une chambre d’hôtel après s’être rencontrée dans un bar.Dès l'introduction, la chambre est définie comme un espace hors du temps et du monde extérieur, où tout peut arriver, où tout peut se révéler. Ainsi la drague insistante de la brune et espagnole Alba (Elena Anaya) envers la blonde et russe Natasha (Natasha Yarovenko) et leur échange de la rue afin qu'elle l'accompagne à son hôtel est filmé en plongée du ciel (un leitmotiv au cœur du film tout ce qui concerne l'extérieur et le passé des personnages sera filmé de cette façon à travers une application à la Google maps) avant qu'un délicat plan séquence ne nous ramène de cette ruelle au balcon, puis dans la chambre où sont enfin arrivées les deux jeunes femmes.

C'est le cliché qui domine au départ, Alba la brune latine incendiaire et lesbienne affirmée se montre très entreprenante avec la blonde glaciale Natasha amenée là par la curiosité et une attirance nouvelle pour elle. Uniquement basée sur le désir, la rencontre va pourtant tourner court tant que son seul enjeu reposera dessus et entre la réticence de Natasha et les assauts trop pressants d’Alba il ne se passera rien dans un premier temps. Il faudra un oubli de portable et le retour quelques minutes plus tard pour que tout se rejoue, plus sincèrement. Les scènes de sexe s'avèrent libératrice dans leur déroulement de ce qui ronge les deux héroïnes. Que cherche à oublier Alba dans l'alcool et ce déchaînement d'abandon lascif ?

Quelles fêlures dissimule Natasha dans cette retenue alors que son désir paraît évident dès le départ ? Les étreintes filmées avec fièvre mais également une grande sobriété par Medem serviront de révélateur aux amantes plus intimes et susceptible de se livrer dans cette nuit forcément sans lendemain. Entre semi-vérité, mensonge et invention diverses le passé de chacune se révèle au cours de leurs échanges. Ce désir de l'instant s'avère donc une libération soulageant leur peine, mais peut être cache-t-il un sentiment plus profond qu'elles n'osent s'avouer.

Medem instaure un dispositif brillant dans la composition de plan, la gamme chromatique et la topographie de la chambre. L'intérieur de la chambre baigne dans un mélange d'ombres (le passé et les douleurs secrètes des personnages) et de couleurs plus ocre, brunes et orangées symbolisant ce qui les lie l'une à l'autre. Cela se vérifie avec les deux tableaux se répondant d'un mur à l'autre de la pièce et auxquels elles sont particulièrement sensibles, exprimant ainsi une interaction allant au-delà de cet attrait physique.

D'un côté la philosophe Aspasie (magnifiquement dépeinte récemment par Amenabar dans son Agora) se rendant à l'Agora entouré de Socrate et Périclès et de l'autre la réponse quelque mètres et siècles plus tard avec un autre philosophe Leon Battista Alberti expliquant l'art des grecs dans un cénacle des Médicis. Le cadre romain, l'emplacement de l'hôtel dans la ville au-dessus du théâtre Pompée et les divers objets évoquant cette culture dans la chambre instaure donc une ambiance baignée de cette sensibilité artistique, signifiant la communion des âmes autant que du corps d'Alba et Natasha. La salle de bain toute de blanc immaculé sera lui le lieu de la mise à nu, aucun artifice ne dissimulant plus le lien fort qui s'est imperceptiblement noué.

L'ambiance éthérée, la profonde délicatesse de l'ensemble confère un ton unique au film. Bien que beaucoup vendu sur son aspect sexuel et saphique (et que cette facette soit frontalement abordée par Medem et son casting) le film va bien au-delà de ça, nous emmenant vers un une belle histoire d'amour et un grand mélodrame. La nudité permanente des actrices s'oublie ainsi très vite, semblant naturelle pour nous et pour elles dans leur rapprochement progressif. Elena Anaya et Natasha Yarovenko donnent richesses et mystères à leur personnages dans ce cadre restreint, forte et fragile chacune à leur tour, méfiante et passionnée, cultivant différence et mimétisme avec une complicité constante.

Les premières lueurs du jour arrivées, rien de tout ce que l'on vient d'assister ne devra dépasser les quatre murs de cette chambre, Medem reprenant de manière inversée son plan séquence d'ouverture où l'on passe cette fois de la chambre à la rue en plongée. En grand romantique qu'il est, il nous laissera pourtant une lueur d'espoir pour la suite avec une superbe fin ouverte et le leitmotiv Loving Strangers de la chanteuse Russian Red n'est pas près de nous sortir de la tête.

Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side


2 commentaires:

  1. Tu sais qu'avec tes chroniques tu m'as donné envie de voir une pelicula de Medem... Et bien je me suis lancé il y a quelques jours avec Room In Rome.

    Ce huit-clos a quelque chose de fascinant, Medem a ce sens inné pour révéler les corps (physiquement comme psychologiquement) qui est absolument admirable. Un film envoûtant soutenu par un soundtrack enivrante! Donc oui je te donne mille fois raisons, c'est un réalisateur largement sous-estimé par la critiqué franco-branchouille !

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  2. Content d'avoir fait un nouveau fan de Medem ! Bon choix c'est vraiment l'idéal pour découvrir ce réalisateur on retrouve tous ses thèmes (la destinée, la figure féminine, la passion amoureuse ou la quête identitaire) dans un registre plus retenu que d'autres de ses films bien plus fous où on peut décrocher si on ne sait pas à quoi s'attendre. Tu peux sauter sur "Les Amants du Cercle Polaire" ou "Lucia et le Sexe" très accessibles aussi pour poursuivre, deux petits bijoux.

    Je ne suis pas loin d'avoir chroniqué toute sa filmo je crois il ne doit m'en rester qu'un à faire avec son documentaire sur la pelote basque ça devrait tomber ici sous peu :-)

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