Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Ann Hamilton rencontre un célèbre
inventeur, Alan Garroway. Séduite, elle l'épouse et le couple part à
Washington. La jeune femme découvre la haute société où elle se trouve
mal à l'aise. Puis, les époux déménagent en Virginie. Là, Ann apprend
l'existence de Michael, le frère d'Alan. Un mystère plane sur les
relations entre ces deux derniers...
Si son nom évoque
plus immédiatement le souvenir de ses merveilleuses comédies musicales,
Vincente Minnelli aura tout au long de sa carrière alterné son genre de
prédilection et la comédie pure avec des incursions plus variées dans le
mélodrame dont le plus célèbres reste la satire hollywoodienne Les Ensorcelés. C'est avec ce Undercurrent
réalisé en début de carrière que Minnelli élargi pour la première fois
sa palette avec ce curieux mélange de thriller et de mélodrame.
Ann
Hamilton (Katharine Hepburn) est une jeune femme vivant encore
paisiblement auprès de son père scientifique qu'elle assiste, aucun
homme n'étant parvenu à la sortir de ce cocon malgré les nombreuses
demandes en mariage. La rencontre avec le magnat de l'industrie Alan
Garroway (Robert Taylor) va venir bousculer cette quiétude, ce dernier
réunissant toute les qualités dont peut rêver une femme : beauté,
charisme et intelligence. Mariés au bout de quelques semaines à peine le
couple voit pourtant une ombre se dresser progressivement entre eux
avec Michael, le frère disparu d'Alan qui révèle des pans plus sombres
de la personnalité de celui-ci.
Minnelli fait preuve de son brio
narratif habituel pour semer le trouble dans son intrigue et ce dès le
début de film faussement idyllique. La rencontre en forme de coup de
foudre puis le mariage se font ainsi de manière très (trop) rapide et
même si le réalisateur y distille un pur charme de comédie romantique
(l'ellipse où le père de Ann compare l'alchimie amoureuse avec celle des
composants d'une formule scientifique passant dans un merveilleux
enchaînement directement au mariage de Ann et Alan) l'essentiel est que
l'on a pas réellement assisté au déroulement de cette relation et que
l'on ne sait finalement pas grand-chose du beau et avenant Alan.
Tout
le film fonctionne sur ce principe, nous laissant chercher entre ce qui
est dit ou ne l'est pas, ce qui est montré ou pas, les personnages
auxquels il est fait allusion ou pas. Tous ces mystères concernent bien
sûr le grand absent dont la personnalité hante tout le film, Michael le
frère mystérieusement volatilisé. Le script fonctionne comme une sorte
de Laura où à la place du le
seul portrait ce serait divers éléments disséminés de la personnalité de
l'absent qui créerait la fascination et le sentiment amoureux à
distance. Ainsi alors que son époux lui semble de plus en plus un
étranger par son milieu, ses sautes d'humeurs et son cadre (la visite du
bureau) impersonnel, Ann est de plus en plus captivée par ce qu'elle
découvre de la personnalité Michael bien loin de l'affreuse description
qu'on lui en a faite.
Amateur de poésie, de musique et s'étant constitué
un havre de paix chaleureux dans son ranch désormais abandonné, c'est
l'homme qu'il lui faut. Ce motif de l'explicite et de l'implicite
fonctionne aussi dans la quête du personnage de Katharine Hepburn qui
pense chercher le disparu pour résoudre la névrose et le complexe de son
époux alors qu'elle est déjà amoureuse sans se l'avouer de l'absent.
Minnelli
exprime cette idée visuellement également par la façon dont il dépeint
la personnalité de Robert Taylor. Doux et aimant au départ, on ressent
progressivement son emprise et sentiment de possession sur Ann au détour
d'un dialogue (une scène d'amour anodine où il lui dit passionné
qu'elle est à lui et qu'elle ne doit pas l'oublier) ou de situations
dont le sens ne se révèleront que plus tard tel cette présentation d'une
Hepburn mal fagotée à la haute société de Washington puis une séquence
de shopping où elle se réduit à un mannequin de cire façonné par Taylor,
"sa" chose.
Michael se dévoilera à nous avec le même sens du mystère,
un simple nom au départ, une personnalité avec la découverte de son
univers, une ombre fugace puis enfin sous les traits séduisant d'un
Robert Mitchum débutant dont le visage nous est jusqu'à la dernière
limite en le faisant passer pour un vulgaire figurant secondaire lors de
la première entrevue avec Katharine Hepburn qui ignore qui il est.
Minnelli
aura progressivement préparé ses jeux de dissimulations/révélations par
sa mise en scène qui révèle brutalement l'obsession de Taylor (le
mouvement de caméra où Ann se retrouve face à lui au ranch, sa
silhouette menaçante apparaissant à la fin lorsqu'elle cherche à
s'enfuir) et la photo de Karl Freund qui s'assombrit soudainement quand
les questions deviennent trop insistantes, dissimulant la nervosité de
l'époux dans la pénombre.
Fort de cette finesse, c'est paradoxalement
lorsque le film adopte un suspense plus frontal et classique qu'il
convainc le moins malgré un final rondement mené et palpitant au bord
d'une falaise. L'interprétation est parfaite avec un Robert Taylor dont
l'aisance s'effrite peu à peu pour révéler un dangereux manipulateur,
Katharine Hepburn vibrante et passionnée apporte sa finesse coutumière à
la progression de son personnage et Robert Mitchum en une poignée de
scène démontre déjà tout le magnétisme qui fera de lui la grande star
que l'on sait dans les années à venir.
Samantha, âgée de quinze ans, est amoureuse du garçon le plus populaire
de l'école mais c'est le garçon le moins populaire de l'école qui est
amoureux d'elle. Sa sœur se marie et, sous le coup de l'excitation, sa
famille oublie son anniversaire. Des grands-parents particuliers et un
étudiant étranger nommé Long Duc Dong achèveront de faire de cette
journée la plus embarrassante qu'ait vécue Samantha.
Si le genre du teen movie naît avec La Fureur de Vivre de Nicholas Ray et trouve ses codes les plus
identifiables dans American Graffiti de Georges Lucas, c’est véritablement John
Hughes qui lui donnera ses lettres de noblesses avec ses quatre premiers films Sixteen Candles, Breakfast Club, Une créature de rêve et La Folle journée de Ferris
Bueller. Jusque-là scénariste très doué pour certaines des meilleures
comédies américaine du début des 80’s (dont le génial Bonjour les vacances/National
Lampoon’s Vacation) Hughes emprunte au film de Ray cette capacité à donner
une vraie tonalité dramatique et empathie aux tourments adolescents et à celui
de George Lucas le principe narratif d’unité de temps (qui aura cours dans tous
ses films) ainsi que le mélange harmonieux entre comédie insouciante et vraie
gravité. Sixteen Candles, premier
film de la série offre ainsi un brouillon charmant et attachant de ses
préceptes qui seront de plus en plus affinés dans les films suivants (hormis le
plus quelconque Une créature de rêve).
Samantha (Molly Grindwald) se réveille pleine d’incertitudes
en cette journée d’anniversaire où elle fête ses seize ans. Alors qu’elle s’était
imaginée depuis toujours que c’est l’âge où elle atteindrait le sommet de sa beauté
et séduction, il ne semble pas y avoir eu de grand changement en elle depuis la
veille, elle reste cette fille qui traverse le lycée invisible aux autres et
surtout du beau Jake Ryan (Michael Schoeffling) garçon populaire dont elle est
amoureuse. Pire, sa propre famille prise par les préparatifs du mariage de sa sœur
oublie de lui souhaiter son anniversaire accentuant la déprime de notre
héroïne.
Hughes développe ici ce qui sera un des moteurs du futur Breakfast Club, le rapprochement entre
les communautés lycéennes antagonistes. L’approche sera plus audacieuse avec l’installation
presque théâtrale de Breakfast Club
alors qu’ici cela se fait par une classique comédie romantique. Ainsi malgré
leur environnement bien différent, la « normale » Samantha a
finalement les mêmes aspirations que le beau gosse lycéen Jake Ryan. Celui-ci
sort avec la plus belle fille du lycéen Caroline mais cette dernière fêtarde et
délurée ne lui apporte pas la tendresse simple espérée et se met à rêver de Sam
lorsqu’il découvre par inadvertance ses sentiments pour lui. L’ensemble du film
est donc une suite de rendez-vous manqués et de malentendu entre eux dû à l’entrave
de l’image qu’il véhicule et qui les empêche de franchir le pas : Jake est
trop beau, trop sûr de lui et charismatique pour Sam tandis que celle-ci paru
plus mesurée, intelligente et spirituelle que les filles idiotes qu’il
fréquente d’habitude. Ainsi intimidé, ils n’échangeront leurs premiers mots qu’en
toute fin de film dans une belle scène de conclusion.
Parallèlement nous avons également une figure
de « geek » incarnée par Anthony Michael Hall (acteur fétiche de
Hughes avec Molly Grindwald) mais Hughes évite les clichés auxquels ce type de
personnage est désormais associé (si ce n’est avec ses acolytes en arrière-plan
dont un tout jeune et boutonneux John Cusack). L’acteur y est donc certes maladroit
avec les filles et un peu risible mais cela est plus dû à sa jeunesse et son
inexpérience que d’un réel complexe ou mal être, ses défauts finissant même par
séduire la belle Caroline au terme d’une nuit de beuverie. Au contraire Anthony
Michael Hall amuse grandement par son assurance et fanfaronnerie déplacée au vu
de son allure de gringalet et montre déjà tout ce qui en fera la figure la plus
attachante des films de Hughes notamment lors d’un échange plus intimiste avec
Molly Grindwald qui anticipe les ambiances feutrées de Breakfast Club.
Tout cela se fait dans un grand tourbillon loufoque où
Hughes à coup de personnages (l’étudiant chinois Long Duc Dong,les grands-parents) et de situations extravagantes (une boum qui vire à
la destruction massive) déploie une énergie et un humour communicatif. Un joli galop d’essai qui allait se confirmer
l’année suivante avec le classique Breakfast
Club.
Melville Farr (Dirk
Bogarde), un avocat londonien réputé et père de famille, mène une vie de couple
apparemment heureuse et sans histoire : il va obtenir une promotion et pourrait
prétendre à une carrière de juge.Tout change lorsque Jack "Boy"
Barrett (Peter McEnery) fait appel à son nom en plein travail. Le passé lui
attrape alors. C'est un des anciens amants qui avait volé deux mille trois cent
livres à l'entreprise où il travaillait et est désormais recherché par la
police. De peur qu'il soit découvert et privé de sa carrière promise, Melville
Farr refuse de l'aider.Ne trouvant aucun soutien, Jack est arrêté et refuse de
révéler ce qu'il a fait de l'argent avant de se suicider par pendaison dans une
cellule au commissariat.Ayant appris cette nouvelle, il est bouleversé et
décide de poursuivre la trace des maîtres-chanteurs.
Victim est un film
important pour le cinéma anglais puisqu’il est le premier à traiter ouvertement
(notamment en prononçant le mot tabou) d’homosexualité. La Grande-Bretagne resta
longtemps une des nations occidentale démocratiques les plus répressives envers
les homosexuelsavec un passif plutôt
violent puisque le penchant était passible de peine de mort (jusqu’en 1836) puis
de prison au XIXe siècle avec comme victime emblématique Oscar Wilde. Au moment
de la production de Victim, ces lois
ont encore cours (bien que pas réellement appliquées par la police) et le
message du film tend à les dénoncer en évoquant les dérapages et drames qu’elles
peuvent susciter. Pour ce faire, le script intègre son propos à une authentique
ambiance de thriller et de film noir les « coupables »
d'homosexualité sont victimes de truands
sans scrupules ayant monté un business de chantage particulièrement bien
organisé.
Tous ne sont pas logés à la même enseigne, les plus riches
payent les sommes demandés et finissent par avoir la paix tandis que les plus
démunis subissent une épuisante pression les obligeant à dénoncer leur
semblables s’ils ne peuvent payer. C'est ce qui arrive à un ancien amant du
héros incarné par Dirk Bogarde qui pour le
protéger se suicide. Ce dernier se sentant coupable de ne pas avoir répondu à
ses appels au secours pour préserver sa réputation va alors remonter la piste
des maîtres chanteur. Dans un Londres cossu mais néanmoins inquiétant, Dearden
instaure une ambiance de paranoïa et de délation palpable, sentiment d'autant
plus appuyé lorsqu'on découvrira l'aspect en apparence inoffensif des auteurs
du chantage.
Le film surprend par sa façon frontale d'aborder
l'homosexualité, pas de scènes explicites évidemment mais les dialogues sont
clairs sont clair sur la chose dont il est question. Cette audace est néanmoins
atténué par le fait d’inscrire cette facette du héros comme une faute, une tare
issu d’un passé qu’il renie car désormais marié mais qu’il va devoir assumer au
fil de l’avancée de son enquête. Dearden use donc aussi de l’angle
culpabilisant déjà employé par William Wyler dans La Rumeur (sorti cette même année et abordant aussi le sujet) à travers la tragédie du personnage de Shirley MacLaine.
Si l’on peut en parler et dénoncer les abus, l’homosexualité demeure donc
encore une tare, une malédiction.
Cette facette se vérifie avec plus de force
encore par l’interprétation puissante de Dirk Bogarde. L’acteur fut la seule
star de premier plan à accepter sans hésitation parmi toutes celles auxquelles
fut proposées Victim. Homosexuel mais
aussi superstars et sex symbol national, l’acteur devait ainsi cloisonner sa
vie privée et s’afficher avec de magnifiques créatures féminines pour donner le
change de cette image de séducteur. La dimension autobiographique aura donc
forcément joué dans sa prestation. La prise de risque paiera puisque ce rôle (pour
lequel il recevra le BAFTA du meilleur acteur) l’ouvrira à des prestations plus
complexes par la suite notamment par sa collaboration avec Joseph Losey (The Servant, Pour l’exemple).
Déterminé
dans sa quête de vengeance mais tiraillé par ses pulsions contradictoires (et
les conséquences que pourraient avoir l'affaire sur son couple et sa carrière),
il éclabousse le film de son charisme. Hormis quelques moments parfois trop
appuyés (les tirades homophobes assez lourdement amenées pour appuyer le
message), l’ensemble offre un récit puissant, lucide et désespéré sur un
travers qui se verra corrigé en 1967 par le Sexual
Offences Act autorisant lune relation consentante entre hommes de plus de
21 ans. Nul doute que l’accueil positif du film témoin de l’ouverture de de l’opinion
sur la question aura aidé à contribuer à cette avancée.
Sorti en dvd zone 2 anglais chez Carlton et doté de sous-titres anglais.
Leonora, prostituée à Londres, est
abordée, lors d'une visite dans un cimetière, par Cenci, jeune et riche
héritière qui semble la prendre pour sa mère. Invitée par Cenci dans sa
superbe demeure où elle vit seule, Leonora, accepte d'endosser le rôle
de Margaret, la mère de Cenci. Les deux femmes, dont l'une a perdu sa
fille et l'autre n'accepte pas la mort de sa mère, vont alors jouer à un
jeu dangereux aux confins de la folie.
Losey réalise une de ses œuvres les plus déroutantes avec ce Cérémonie Secrète
dont la sophistication et la veine psychanalytique l'éloigne quelque
peu (au premier abord) des films engagés qui l'établirent enfin aux yeux
de la critique au début des années 60 avec The Servant (1963) ou Pour l'exemple
(1964). Le projet est amené à Losey par Ingrid Bergman qui rêve de
travailler avec lui et qui lui faire lire la courte nouvelle éponyme de
l'auteur sud-américain Marco Denevi. Le script qu'en tirera George
Tabori sera tellement scabreux qu'Ingrid Bergman renoncera au projet,
Losey retrouvant Elizabeth Taylor avec laquelle il vient de tourner Boom dans une veine très proche de ce Cérémonie Secrète et qu'on peut voir comme son film jumeau.
Tout comme dans The Servant ou Accident
Losey filme ici un récit d'enfermement et d'aliénation entre deux
personnages dans un lieu clos, deux être dont la proximité s'avère aussi
addictive que destructrice. Leonora prostituée londonienne (Elizabeth
Taylor) va ainsi croiser la route de Cenci (Mia Farrow) jeune héritière
aux troubles psychologiques. C'est une perte commune qui va les
rapprocher, Leonora a perdu quelques années plus tôt sa fille et ne s'en
est jamais vraiment remise tandis que l'esprit perturbé de Cenci
résulte de la disparation récente de sa mère à laquelle elle était
profondément attachée.
L'ambiguïté du rapport se pose d'emblée par les
motifs de cette cohabitation. Leonora va ainsi céder autant par un deuil
jamais fait en reconnaissant les traits de sa fille dans ceux de Cenci
tandis qu'on découvrira également une ressemblance troublante avec
Leonora sur les photos de sa mère et expliquant sa fixette. Pourtant
aucune des deux n'est totalement dupe et s'accommode de la situation
pour soigner ses blessures.
L'appât du gain n'est ainsi pas absent des
motivations de Leonora et son langage populaire dévoilant sa basse
extraction éveille plus d'une fois l'attention d'un Cenci sachant bien au
fond d'elle que cette femme n'est pas sa mère, de courts moments où son
regard se fait moins absent dévoilant une conscience encore vivace. Les
rapports de forces et de soumission vont ainsi s'alterner de l'un à
l'autre des personnages, Losey retrouvant de manière différente une
opposition proche de The Servant où le rapport de classe finira forcément par avoir son importance.
Elizabeth
Taylor magnifiquement torturée offre une prestation où son personnage
dominateur est progressivement soumis au besoin d'affection de "sa
fille". Mia Farrow de nouveau en sorte de femme-enfant assaillie par son
environnement est des plus troublantes, maniérée et habillée comme une
fillette mais dont la séduction bien adulte jette un voile bien ambigu.
Cette facette est introduite par la figure malfaisante de Robert Mitchum
dont on devinera qu'il a autrefois séduit une Mia Farrow mineure et
consentante, cette dimension pédophile se prolongeant à l'âge adulte
lors de scènes provocantes entre eux avec un Mitchum prédateur
libidineux (La Nuit du chasseur
n'est pas loin) et une Cenci laissant faire, Mia Farrow anticipant sans le savoir son propre drame personnel quelques années plus tard. C'est cette intrusion qui
fait surgir le factice de la situation : Cenci n'est plus une fillette
mais une jeune femme de 22 ans et cette femme vivant avec elle une
étrangère. Leonora, comprenant qu'elle enferme Cenci dans l'enfance pour
combler son propre manque va ainsi sacrifier ce rapport malsain.
Losey
multiplie les symboles plus ou moins marqués pour appuyer son propos.
La dimension religieuse est ainsi omniprésente, entre l'ouverture sur un
baptême, la rencontre des deux femmes dans un cimetière, les multiples
inserts sur les symboles catholiques telles ces statues d'anges et
surtout la figure du christ crucifié lors des derniers instants de
Cenci. Ce sont les reflets de cette culpabilité qui au-delà du rapport
mère/fille va même dans une direction plus aventureuse d'attirance
lesbienne le temps d'une scène.
La maison constitue pratiquement un
personnage à part entière illustrant tour à tour une fascination pour
une opulence destiné à être détruite (leitmotiv récurrent de Losey),
appuyant cette imagerie de l'enfance factice (on croirait par moment
être dans une maison de poupée avec ces pièces vides fantômes débordant
de luxe) et se faisant l'espace mental de deux esprits à la dérive avec
un Losey multipliant les plan-séquences arpentant du sol au plafond le
mémorable décor conçu par Richard MacDonald.
La musique de Richard
Rodney Bennett joue aussi énormément sur cette atmosphère étrange avec
une ritournelle entêtante de boite à musique. Très lent, abstrait
torturé et assez hermétique, le film sera un échec qu’Universal mutilera
au montage pour sa sortie aux Etats-Unis. Losey saura heureusement
sortir de cette mauvaise passe un peu plus tard avec son magnifique Le Messager et pour l'heure signait là un de ses films les plus singuliers et marquants.
Dans le beau cadre de la plage de
Noirmoutier un « ménage à trois », avec César, un parvenu hâbleur mais
généreux, David, un artiste effacé assez intellectuel qui se régale de
la vulnérabilité de son confident, et une Rosalie bovarienne, partagée
entre l'homme avec qui elle vit et son amour de jeunesse faisant
irruption dans sa vie, qui prend cette thérapie pour une connivence.
Claude Sautet prolongeait dans César et Rosalie son exploration du couple amorcée dans le magnifique film de sa réinvention artistique, Les Choses de la vie. On retrouve ici un triangle amoureux inversé par rapport aux Choses de la vie où ce sont cette fois les hésitations d'une femme au milieu de deux hommes qui la vénèrent qui sera le moteur de l'intrigue. César et Rosalie
se démarque également par son ton moins ouvertement dramatique mais
tout aussi touchant. Rosalie (Romy Schneider reprenant un rôle
initialement écrit pour Catherine Deneuve) est la compagne heureuse de
César (Yves Montand) mais l'équilibre du couple est brisé par le retour
de David (Sami Frey), amour de jeunesse qu'elle n'a pas revu depuis cinq
ans et qui ne l'a pas oublié.
Tout oppose les deux hommes et c'est bien
leur qualités et défauts complémentaires qui vont amener les va et
vient sentimentaux de Rosalie. César est un "homme du peuple", riche
entrepreneur qui s'est fait tout seul au tempérament sanguin et
possessif. David est un artiste, dessinateur de bd effacé et ténébreux.
La chaleur de César est un bienfait et une malédiction, protectrice et
étouffante à la fois. A l'inverse David est doux, attentionné mais
finalement trop distant. César poursuivrait Rosalie jusqu'au bout du
monde si elle disparaissait avec un autre, David au contraire
s'effacerait résigné sans moins l'en aimer pour autant.
Sautet
filme le quotidien lentement se déliter au fil des élans de Romy
Schneider de l'un à l'autre de ses prétendants. On admire ainsi les
remarquables interprétations d'Yves Montand et Sami Frey qui font de ses
archétypes (autant dans le caractère que l'origine sociale) des êtres
de chair et de sang. Montand, boule de nerfs incontrôlable et amant
généreux alterne ainsi numéros de charme et dérapages violents dévoilant
l'angoisse qui ronge cet homme sous son aisance. Sami Frey plus sobre
dissimule lui sous son masque froid une tout aussi grande agitation du
cœur et c'est par des regards tendres et discrets, des gestes simples
que s'exprimera sa passion.
Dans le même ordre d'idée les scènes
tendres ou de conflits des deux couples sont captés de manière
différente par Sautet. L'amour est sautillant et enlevé entre César et
Rosalie (l'ouverture sur les préparatifs du mariage) et les disputes un
véritable chaos de violence verbale et physique. Au contraire pas de
conflit entre Rosalie et David, les non-dits et ellipses amorçant la
séparation avant qu’ils surgissent par une fuite en avant de Sami Frey
et la relation amoureuse y est paisible radieuse et laissent les amants
s'oublier.
Le script de Sautet et Jean-Loup Dabadie prend des
détours étonnants qui vont justement bouleverser cette forme d'équilibre
du ménage à trois. D'abord rivaux, les deux amoureux vont comprendre
que l'objet de leur attention s'éteint à leur contact en l'absence de
l'autre. Si David abandonne bien vite la partie, César prendra les
choses en main pour le forcer à partager le quotidien de Rosalie.
L'opposition devient complémentarité voire complicité pour les deux
hommes où ces amours partagés révèlent le meilleur d'eux même. César
perdra de ses élans machos (la partie de poker en début de film) pour
être plus attentionné et sacrifier sa fierté en s'effaçant pour son
rival quand David se verra forcé à prendre enfin l'initiative.
C'est
finalement celle qui se nourrissait de cet interdit et de cette tension
qui sera la plus décontenancée, Rosalie. Romy Schneider humanise ainsi
enfin cette figure féminine séductrice et mystérieuse en lui instaurant à son tour le doute auquel elle a soumis "ses" hommes. L'actrice fait preuve
d'un naturel, d'une sensualité et magnétisme fascinant qui ne rendent
jamais antipathique ce personnage libre et s'abandonnant à ses penchants
du moment. C'est finalement d'elle que devra venir l'ultime chemin à
parcourir, le temps d'une sobre et touchante scène de retrouvailles
finale.
Gary et Wyatt sont deux adolescents sujets de moquerie au lycée et sans succès auprès des filles. En regardant le film Frankenstein
Gary a l'idée de créer une femme artificielle à l'aide de l'ordinateur
de Wyatt. Le résultat est Lisa, une superbe jeune femme, qui s'avère
très délurée et dotée de super-pouvoirs. Afin de les amener à se prendre
en main et à retrouver confiance en eux-mêmes, Lisa entraine les deux
amis dans une suite d'aventures fantastiques et loufoques.
Une créature de rêve
est certainement le plus faible du quatuor gagnant de John Hughes qui donna ses
lettres de noblesse au teen movie
avec les poignants drôle et toujours juste Sixteen
Candles (1984), son chef d’œuvre Breakfast Club (1985) et La Folle Journée de
Ferris Bueller (1986) avant de se tourner vers des films plus adultes. Une
créature de rêve semble marquer une volonté d’adopter une tonalité plus légère
après la veine plus mélodramatique de Sixteen
Candles et surtout Breakfast Club.
Si les thèmes récurrents de Hughes sur le mal être adolescent sont bien là à
travers son duo de héros complexé, l’ambiance est nettement plus loufoque et
délirante que les films précédentes.
Le titre original Weird
Science s’inspire de la revue du même nom édité au début des années 50 par EC Comics et qui constituait une sorte
d’anthologie de science-fiction peuplée d’histoires délirantes. Le scénario de
Hughes est d’ailleurs une modernisation deMade of the Future un des
récits paru dans la revue et signé Al Feldstein et dont le réalisateur
approfondi l’argument tout en l’inscrivant dans un contexte lycéen. Wyatt (Ilan
Mitchell-Smith) et Gary (Anthony Michael Hall acteur fétiche de Hughes) sont
deux lycéens malingres et timides raillés par garçons les plus populaire (dont
un tout jeune Robert Downey jr) et ignorés par les jolies filles du lycée qu’ils
ne peuvent admirer qu’en secret. C’est le temps d’une soirée ennuyeuse où il
regarde Frankenstein que l’idée leur
vient : eux aussi vont se fabriquer la fille idéale qui saura les
apprécier.
La couture de monceaux de cadavres est ici remplacée par la réunion
de tous les éléments qui peuplent l’imaginaire et le fantasme de ces
adolescents afin de créer la fille de leurs rêves, les éléments allant de la
revue porno à la photo d’Einstein en passant par l’émission musicale à la mode.
Suite à des manipulations informatiques et un coup de pouce de la foudre
(l’informatique rudimentaire prête largement à sourire mais l’argument est de
toute façon tellement farfelu que cela passe dans le délire de l’ensemble)
surgit alors la sculpturale et espiègle Lisa (Kelly LeBrock) qui grâce à ses
pouvoirs va prendre en main nos deux larrons.
Lisa fait figure de génie de la lampe des temps modernes qui
va peu à peu donner confiance à son duo en les poussant dans leurs derniers
retranchements par des situations extravagantes où ils pourront enfin se
montrer à leurs avantages. Il y a une jubilation de sale gosse qui s’expriment
à certains moment comme lorsque Lisa malmènent les parents coincés de Gary où
lorsqu’elle dote le duo de bolides vrombissant ou ils emmèneront leur petites
amies. Ce que l’on retient surtout c’est l’avalanche de catastrophe causés par
les pouvoir de Lisa où l’on verra surgir une ogive nucléaire dans la chambre de
Wyatt, le mobilier de son salon aspiré par la cheminée… L’outrance des
situations est des plus amusantes et déploie des effets spéciaux efficaces et
surprenants (la créature immonde en laquelle est transformé Bill Paxton), la
bande-son 80’s est savoureuse (Oingo Boingo pour le morceau titre, Killing
Joke, Wall of Voodoo, Kim Wilde) et le rythme effréné.
Néanmoins on peut se trouver déçu par le manque de rigueur
et d’ambition de l’ensemble où on ne retrouve jamais l’émotion d’un Breakfast Club. Ce n’était sans doute pas
le but premier mais Hughes mêlera pourtant brillamment ton cartoonesque et
drame dans le suivant La Folle journée de
Ferris Bueller dont Weird Science constitue une sorte de brouillon. Ici
tout sonne un peu faux, Kelly LeBrock et Anthony Michael Hall s’en sortent bien (elle en sorte de grande soeur rêvée
prenant les choses en main, lui toujours aussi attachant) mais Ilan Mitchell-Smith est assez transparent tout comme les personnages des
petites amies un peu trop nunuches et laissant froid quant aux couples formés
lors de la conclusion.
On s’amusera de la dimension référentielle disséminée un
peu partout comme l’intrusion de ses motards à la Mad Max ou de la présence du physique hors normes de Michael
Berryman qui semble reprendre son rôle de La
Colline a des yeux. Amusant donc mais c’est clairement le film de Hughes le
moins convaincant de sa période dorée et celui qui accuse le plus son âge. La
série qui en sera tiré dans les années 90, Code
Lisa est finalement bien plus inventive.