Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 27 janvier 2012

Rue sans issue - Dead End, William Wyler (1937)


Dans l'East-side à New York, des immeubles cossus surgissent peu à peu au sein des quartiers déshérités. Ainsi l'opulence jouxte de façon éhontée des bâtiments délabrés, habités par une population miséreuse.

Au bout d'une rue qui se termine abruptement sur les bords de l'Hudson, se joue le théâtre ordinaire de la misère sociale. Drina participe à la grève de son usine pour obtenir une augmentation des salaires ; Joel, sans emploi, vit de petits boulots et ravale l'échec de sa carrière d'architecte ; une bande de gamins jouent aux durs et s'initient aux règles barbares des gangs.

Le tristement célèbre gangster "Baby Face", pris de nostalgie, revient incognito dans le quartier pour retrouver sa mère et son amour de jeunesse. Sa déconvenue sera à l'image de cette rue sans perspectives d'avenir.


Au premier abord, Dead End semble être une incursion inattendue de la MGM dans le film de gangster dans le but de concurrencer les productions à succès de la Warner qui triomphent depuis le début des années 30. Pourtant on constatera vite que plusieurs éléments dénotent avec ce que l'on est en droit d'attendre d'un film de ce genre. La mise en scène sèche, percutante et l'esthétique urbaine "réaliste" habituels sont oubliés dès la scène d'ouverture qui situe le modeste quartier de l'East-Sidé où va se dérouler l'action. Symboliquement, on part des cieux paisibles et hors du temps depuis les hauteurs des palaces luxueux habités par les nantis avant qu'un mouvement de caméra descende dans les ténèbres pour nous révéler ce qui les entoure. On découvre alors un quartier populaire grouillant et pauvre où les travailleurs modeste côtoient les mauvais garçons et voyous divers.

Wyler fait preuve d'emblée d'une sophistication marquée dans sa mise en scène et le visuel du film. Ainsi entre maquettes et matte painting les buildings des riches se posent en tours de Babel irréelle et inaccessible tandis que le quartier en lui-même bien que très bien reconstitué (parmi les 4 nominations à l'oscar que recevra le film on trouve la meilleure Direction artistique) trahi constamment sa nature de décor studio, que Wyler assume parfaitement avec un mouvement de grue impressionnant qui nous le fait survoler. Le film tiendra finalement plus de tranche de vie à la ligne narrative ténue que du vrai récit criminel.

Ces diverses "entorses" tiennent en fait à l'origine du projet, Dead End étant adapté d'une pièce de Sidney Kingsley. Celui-ci est célèbre à l'époque pour avoir reçu le Prix Pulitzer grâce à Men in White, pièce de 1934 où il abordait la difficile question de l'avortement illégal. On l'a compris, le propos sera plus ouvertement social que les films Warner où cela constituait un arrière-plan et où les biopic plus ou moins officiels de gangsters côtoyaient l'adaptation de roman policier. Là où des films comme Scarface ou L'Ennemi Public jouent avec ambiguïté de la double option du divertissement excitant et de la dénonciation de cette vie criminelle, Dead End s'arrête uniquement à la seconde solution.

On a bien un criminel redoutable en la personne d'Humphrey Bogart mais l'empathie naît des très attachants Joel McCrea et Sylvia Sydney, gens ordinaires qui se démènent pour survivre. A la construction Ascension/Apogée/Chute typique du genre l'unité de temps et de lieu de la pièce escamote la facette la plus glorieuse qu'est l'apogée. On alterne ainsi entre les méfaits appelant à une escalade criminelle future de petites frappes du quartier et les désillusions que va vivre le caïd Baby Face Martin (Humphrey Bogart) en quête de souvenir sur les lieux de son enfance.

Si on oscille entre espoir et pessimisme pour les gamins, leur futur possible vu à travers Bogart s'avère implacable. Riche, craint et puissant Baby Face Martin est surtout un homme seul et désormais sans passé (l'opération lui ayant changée le visage est ainsi lourde de sens) ni racines. Rejeté par les sien (terrible scène avec sa mère) ou voyant des souvenirs tendre prendre un jour monstrueux (sa fiancée devenue prostituée jouée par Claire Trevor), le truand perd toute sa prestance pour révéler un être aux abois. Humphrey Bogart est excellent et traduit parfaitement ce changement d'état d'esprit tandis que Wyler ne magnifie jamais les quelques occasions données de mettre le gangster en action.

La dimension sociale s'avère très réussie grâce à la prestation de Joel McCrea toujours excellent en monsieur tout le monde modeste et une Sylvia Sidney au regard mélancolique et à l'allure fatiguée par un labeur sans fin. Le triangle amoureux avec une jeune femme riche amoureuse de McCrea (Wendy Barrie) est un peu trop esquissée pour captiver complètement (malgré des moments réussis McCrea qui guette sa riche soupirante oisive à son balcon tandis que Sylvia Sydney baissée se plaint de ses chaussures usagées), tout comme la sous-intrigues de grève et de combat syndical.

Le film pêche sans doute à un peu trop marquer son message (sans doute pour signifier clairement la différence avec les films Warner) notamment par une analogie et symbolique constante qui finit par lasser (les riches contraint de quitter l'hôtel par la porte de service débouchant sur le quartier pauvre, la fête constante sur fond de jazz tonitruant dans les étages tandis que le drame se noue en bas) mais néanmoins l'émotion fonctionne réellement de bout en bout. Wyler dynamise bien un récit qui ne se déleste pas complètement de son origine théâtrale une mise en scène percutante dans les quelques moments d'actions (très efficace bagarre et gunfight final) et une certaine audace dans la crudité de sa description notamment la vulgarité des gamins. Plutôt intéressant dans ses choix donc sans être un grand Wyler.

Sorti en dvd zone 2 français chez MGM

5 commentaires:

  1. J'aime beaucoup ta note bien documentée. Par contre je pense au contraire que c'est un grand Wyler. Il suffit pour s'en convaincre de voir les plans sur les yeux baignés de lumière ou sur les visages.

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  2. J'aime beaucoup le film mais je préfère la seconde adaptation que Wyler fera d'une pièce de Sidney Kinglsey avec "Histoire de détective" que je trouve supérieur sur des thèmes très voisins et sur un dispositif proche (unité de temps et de lieux, côté théâtrale dynamisé). Très intense et précurseur sur tout un pan du polar urbain à tendance réaliste sur le quotidien policier. Si tu ne l'as pas vu je recommande vivement j'en avais parlé aussi sur le blog

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  3. Moi aussi je trouve que c'est un très bon Wyler. Et pas uniquement à cause de la lumière sur les visages qui est davantage le boulot "normal" d'un directeur photo de cette époque (de la Warner ici, mais c'est valable pour tous les studios de ces années-là).
    Detective story reste un peu longuet et ennuyeux pour moi. Peut-être , justement, parce qu'il y a moins d'émotion brute, moins de simplicité que dans celui-ci.
    Wyler peut en effet se montrer grand (Nos plus belles années) mais n'a jamais le sens de l'ellipse, l'épure, le tranchant, la vision sociale d'un Fritz Lang. Je pense à lui à cause de Sylvia Sydney.
    Quant au polar réaliste tourné en décors urbains naturels, hors studios, Detective story, en 51, ne peut pas en être précurseur alors que Naked City de Dassin date de 47/48.

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  4. Ah mais Detective Story n'est pas précurseur sur le tournage hors studio puisque au contraire il est entièrement tourné en studio comme "Rue sans issue" et bénéficie du même traitement théâtral" (unité de temps et de lieu).

    Je le citais en précurseur plutôt pour sa description réaliste et quasi documentaire du quotidien de policier que l'on ne reverra fouillé à ce point que bien plus tard avec Les Flics ne dorment pas la nuit de Richard Fleischer grand classique du genre. près plusieurs grandes séries américaine ont creusé ce sillon avec Hill Street Blues ou plus récemment The Wire. Et là dessus Wyler est vraiment en avance sur son temps. C'est pour ce mélange de sophistication et de réalisme pour moi un peu plus abouti que dans Rue sans issue que je préfère "Histoire de détective". Ce sont deux très bons Wyler de toute façon. D'ailleurs "Histoire du détective" est ressorti en salle très récemment si on veut se faire une idée. J'en parlais là d'ailleurs

    http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr/2012/02/histoire-de-detective-detective-story.html

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  5. J'avoue (c'est lointain) avoir plus gardé en tête l'impression d'ennui que m'avait laissé "detective story" que ses images. C'est vrai que c'est une pièce en effet (je l'ai vue également au théâtre,ça m'avait paru moins pesant, mais sans laisser un souvenir impérissable non plus).
    Concernant le réalisme du quotidien des flics, en amont de tous ces films cités post 70's, il y en a eu quelques autres bien avant, comme "Inspecteur de service" de J.Ford (hors studio mais gardant les unités de temps: 1 journée, et de lieu : Londres.)
    Voire même "Règlement de comptes" de F.Lang même si dans ce dernier ce n'est pas le sujet de base (quoique). Ce ne sont que deux exemples.
    Le grand tournant a dû avoir lieu avec le succès en 56 des premiers livres des Chroniques du "87th precinct" du grand Ed Mc Bain, et la série TV éponyme dans les années 60-62.
    Après, plus rien n'a été pareil dans le monde des flics de fiction.


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