Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 16 janvier 2011

Loin de la foule déchaînée - Far from the Madding Crowd, John Schlesinger (1967)


Angleterre, 1870. Bathsheba Everdene, femme de caractère, hérite d'une terre qu'elle doit exploiter seule. Trois hommes vont marquer son existence: le fringant caporal Troy, le riche propriétaire Boldwood et le berger Gabriel Oak.

Avec ses trois premiers films Un amour pas comme les autres, Billy le Menteur et Darling décrivant respectivement le milieu ouvrier, la vie dans le nord de l'Angleterre et le Swinging London John Schlesinger était un cinéaste plutôt associé à des univers contemporain. La surprise est donc grande de le voir s'attaquer au film d'époque avec cette adaptation du roman de Thomas Hardy Loin de la foule déchaînée.

Il retrouve pour l'occasion son actrice fétiche Julie Christie déjà de l'aventure dans Billy le Menteur et Darling. Celle ci incarne Bethsabé Everdene jeune femme héritant brusquement d'un vaste domaine fermier. Parallèlement à son l'apprentissage de la gestion de sa propriété et des difficultés pour s'imposer se dessine une sorte de parcours initiatique pour elle à travers son rapport au trois hommes se disputant ses faveurs. Il y a tout d'abord le plus fiable Gabriel Oak (Alan Bates) rugueux et solide campagnard qui réclamera sa main avant que la fortune lui sourit. On trouve ensuite le plus passionné avec le propriétaire terrien Boldwood (Peter Finch) dont la nature austère et froide se voit troublée par sa passion soudaine pour Bethsabé. Hautaine et moqueuse avec eux, Bethsabé va pourtant céder corps et âme au peu recommandable Sergent Francis Troy (Terence Stamp), homme à femme également porté sur le jeu et la boisson.

L'intérêt du film gagne grandement quand on est lecteur de Thomas Hardy. Une première vision sans connaître l'auteur m'avait laissé une impression très mitigée pour ne pas dire négative et là c'est exactement l'inverse tant Schlesinger à bien su capter l'esprit de Hardy (en ce qui concerne ces ouvrages que je connais puisque Far From the madding crowd n'est toujours pas traduit en français). L'aspect très documenté et détaillé du mode de vie rural dans ces différents travaux est ainsi fort réussi et immersif. Schlesinger instaure ainsi une douce torpeur dans sa description du quotidien de la ferme qui peut à tout moment être brisée par les éléments (un brutal orage qui va ruiner une récolte), la maladie (séquence très réussie où les moutons sont victime d'un mal étrange) ou la malchance pur et simple comme cette scène incroyable où un troupeau entier de mouton se jette du haut d'une falaise.

Le quatuor d'acteurs est assez exceptionnel. Julie Christie passe avec aisance de la jeune fille arrogante à l'amoureuse transie et malgré les multiples erreurs et faux pas de son personnage parvient à susciter l'empathie. Terence Stamp rend magnifiquement humain ce Francis Troy qui aurait pu être facilement détestable dans ses excès, notamment dans son rapport avec Fanny la seule femme qu'il ait réellement aimé. Moins nuancé, Peter Finch confère une intensité maladive à Boldwood et Alan Bates (amené à reformer un couple avec Julie Christie dans Le Messager de Joseph Losey dont on parlé ici en juillet) transpire l'authenticité dans son incarnation de Oak en communion avec la nature.

Le cadre n'incite pas Schlesinger à céder à une mise en scène académique, bien au contraire. Plusieurs moments détonent par leur modernité tel le montage saccadé lors de la démonstration d'escrime de Troy qui adopte ainsi le regard étourdi et l'image magnifiée qu'a Bethsabé de lui à ce moment là. De même la scène où elle se rend en ville pour rompre avec lui, la bande son couvre leur dialogue par le bruit des vagues et c'est seulement l'expression peu à peu adoucie et amoureuse de Julie Christie qui laissera deviner de l'issue de l'échange. On peut aussi évoquer un montage percutant dans son art de l'ellipse comme le dialogue à distance entre Oak et Bethsabé lorsqu'elle lui demande de venir sauver son troupeau, on saute une partie de la réponse de l'un qu'on devine par la réaction de l'autre dans le moment suivant ce qui confère un sacré dynamisme à une scène potentiellement lourde. Le film est une grande réussite plastique avec de long moments contemplatif où la photo stylisée et naturaliste à la fois de Nicholas Roeg magnifie les paysages ruraux du Dorset et du Wiltshire où fut tourné le film.

On retrouve l'extrême noirceur et le poids de la fatalité typique des écrits de Hardy lors de saisissants moments de cruautés. Ils peuvent être psychologiques tel cette scène où Troy affligés par la mort de son amante affiche un mépris absolu pour Julie Christie ou plus pathétique notamment ce montage alterné entre la beuverie des hommes et l'orage qui attaque la récolte à leur insu à l'extérieur. En dépit de son ampleur (comme pas mal de grosses productions historiques de l'époque le film est doté d'une ouverture et d'un entracte musical) on assiste donc plutôt à un récit intimiste avec l'évolution ou le surplace de ces personnages dans un cadre restreint sur plusieurs années. Schlesinger trouve l'équilibre idéal entre sa mise en scène ample et cette tonalité plus feutrée qui donne tout son charme au film, avec une narration lente comme le temps qui passe parvenant à nous happer dans son rythme languissant.

Une belle réussite qui pour du Thomas Hardy a le mérite de se conclure sur une note plutôt positive avec un Bethsabé levant enfin les yeux sur celui qui a toujours été là pour elle. Une sorte de petite parenthèse également dans la filmographie de Schlesinger qui allait retrouver les trépidations urbaines avec son film suivant, le célèbre Macadam Cowboy.

Sorti en dvd zone 1 chez Warner (mais comme souvent chez eux le disque est multizone et compatible sur tous les lecteurs) et doté de sous titres français.


9 commentaires:

  1. Hello ! ;)Très intéressante critique. Effectivement, le film a l'air très fidèle au roman. Avant de lire le livre, j'avais vu que Julie Christie avait été choisie pour interpréter le rôle de l'héroïne dans cette adaptation, et j'en avais été très surprise ; pour moi, Julie Christie a un physique plutôt contemporain. Mais finalement, cette modernité sied plutôt bien au personnage de Bathsheba...

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  2. Oui vu comme le personnage détone dans son attitude c'est un bon choix, vraiment une belle prestation de Julie Christie. D'ailleurs le couple qu'elle forme avec Alan Bates a dû marquer Joseph Losey qui les réuni dans "Le Messager" très belle romance rurale aussi avec cette question du rapport de classe.

    D'ailleurs c'est pas ton billet que j'ai vu que le livre existait en français je pensais qu'il n'était pas traduit. A tenter quand j'en aurais finit avec Jane Austen ^^

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  3. "Loin de la foule déchaînée" n'a été retraduit que récemment. Sinon, je crois qu'il y a une ancienne version, avec des coupes et des changements de noms. ;)

    J'ai vu que tu étais en pleine immersion austenienne ; qu'est-ce que ça donne ? J'ai lu tous ses romans un été il y a maintenant 5 ans je crois, et j'avais été enchantée de ma découverte (même si certains de ses livres sont meilleurs que d'autres). :D

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  4. Hé hé Jane Austen une drogue dure ! Là j'ai terminé "Emma" qui sans être mon préféré m'a donné l'impression d'être le mieux écrit de tous. Il y a beaucoup moins de dialogues, c'est beaucoup plus subtil dans la description des personnages dont on ne devine les sentiments que très progressivement (même si on la pressent l'histoire d'amour entre Emma et Knightley tombe quasiment dans les toutes dernières pages) à l'image de l'héroïne constamment dans le faux dans son jugement des autres et qui se ment à elle-même.

    Par contre j'ai eu un peu de mal avec Emma on a l'impression d'avoir comme héroïne un des personnages hautain méprisables des autres livres même si elle vaut mieux que ça finalement. Mais ça fait partie de la finesse du livre et les rapports de classe sont vraiment passionnants même si cela paraît plus pessimiste quant à un rapprochement que les livres précédent. Voilà tout ça pour dire que j'ai beaucoup aimé même si mon favori reste "Orgueil et Préjugé" vraiment parfait mais vu comme je suis happé par "Mansfield Park" actuellement ça risque de changer vraiment passionnant celui-là.

    Par contre je suis moyennement tenté par "Northanger Abbey" (pas très branché par l'idée de parodie de roman gothique) à moins que tu me vantes les mérites du livre je vais peut-être attaquer directement Persuasion ^^.

    Voilà le petit bilan (ou plutôt très long) bilan de l'été Austenien ;-)

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  5. Oui, "Loin de la foule déchainée" a été re-traduit récemment en effet, avec le bon titre. Il l'avait été , il y a quelques décennies, sous le titre "Barbara"... Eh bien parce que Bathshéba avait purement et simplement été rebaptisée Barbara ! Je suppose que le traducteur (qui est une traductrice il me semble) pensait que c'était là un prénom trop sophistiqué pour le petit cerveau français?
    Et J'espère que vous n'êtes finalement pas passé à côté du délicieux "Catherine Morland" (ou "Northanger Abbey, selon les traductions, là aussi!). Il y a du Mario Bava, de la Hammer'touch et du Roger Corman qui sommeillent chez l'amie Austen ! Si. Si.
    J'ai trouvé très affûtée votre analyse de Chinatown.
    Lisa Fremont.

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  6. C'est drôle que vous évoquiez Northanger Abbey vu que j'ai finalement fini par le lire récemment (genre fini il y a 2 jours quoi !) et je confirme excellent sans être mon Austen préféré. J'appréhendais un peu le fait de ne pas avoir toute les références pour apprécier la parodie de littérature gothique mais ça passe tout seul et c'est très amusant tout étant vraiment inquiétant grâce à l'imagination débordante de l'héroïne.

    Pour "Loin de la foule déchaînée" pas beaucoup d'imagination du côté des traducteurs l'équivalent français existe pourtant avec Bethsabé ^^. Et merci pour Chinatown si vous avez l'occasion de le revoir en salle n'hésitez pas la copie refaite pour l'occasion est très belle !

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  7. sans avoir lu le roman, j'ai d'emblée adoré ce film.
    j'ai beaucoup pensé à La fille de Ryan. La cruauté de Troy est payée en retour, mais cette fin en prison pour Boldwood, ce meurtrier improvisé est parfaitement injuste. Oak vient, au début du film, offrir un agneau
    Betsheba, et la mort des moutons, poussés au bas de la falaise par un chien fou, plus tard les moutons empoisonnés par de la lucerne mouillée, sont des temps très forts. Le chagrin de Troy sur la cadavre de Fanny est le seul exemple d'une émotion vécue. Grâce à quoi le film échappe au mélo et c'est une bonne chose

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  8. merci beaucoup pour votre critique, qui m'a permis de retrouver la trace de ce film, que j'avais vu par hasard à la télé il y a 20 ans, sans savoir ni le titre, ni de qui était le film, la seule chose dont je me rappelais était qu'il y avait alan bates dedans. ce film m'avait alors frappée, j'avais gardé jusqu'à maintenant certaines scènes gravées profondément dans ma mémoire, la scène où elle retrouve son amoureux débauché qui disqparait tout le temps sur la colline, et ils échangent un baiser fougueux, la scène d'une tempête où alan bates aide l'héroine à protéger du matériel de ferme, et la scène finale où on la voit enfin apaisée.
    sinon je ne connaissais rien de ce film, et votre article et fort intéressant et donne envie de lire le livre.
    merci encore, je vais le revoir de suite...

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    1. Merci content d'avoir ravivé vos souvenirs, d'ailleurs il y a en ce moment en salle une nouvelle adaptation du livre de Thomas Hardy avec Carey Muligan et Mathieu Schoonerts. Pas aussi bon que la première version (Schlesinger manie mieux l'équilibre entre romanesque classique et modernité dans sa mise en scène à l'image de son héroïne émancipée) mais très réussie également.

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