Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Quatre garçons passent leurs vacances d'été
ensemble dans un pensionnat. Yu, un des garçons, décide de mettre fin à
ses jours en sautant d'une falaise suite à l'amour à sens unique qu'il
porte pour Kazuhiko, un autre garçon. Un jour, un nouveau, nommé Kaoru
arrive au pensionnat. Il ressemble fortement à Yu mais prétend être
quelqu'un d'autre. Kazuhiko commence par être fasciné par Kaoru...
Summer Vacation 1999 est une superbe adaptation libre d'un des chefs d'œuvres du manga shojo, Le Cœur de Thomas de Moto Hagio publié en 1975. Le Cœur de Thomas appartient au shōnen'ai,
un des sous-genres du shojo qui se caractérise par sa description des
relations intimes entre jeune garçon. Par son côté chaste et sa
prédilection pour les atmosphères romantiques, il anticipe mais se
différencie également du boy's love qui
sera bien plus explicite dans sa description de l'homosexualité
masculine. On peut considérer que Moto Hagio, avec d'autres de ses
collègues féminines ayant émergé du mouvement du Groupe de l'An 24, est
une des fondatrices de ce courant qu'elle alimentera aussi avec un autre
de ses titres phares, le récit vampirique Le Clan des Poe
publié à la même période.
Esthétiquement et thématiquement, ces titres
se caractérisent par la profonde androgynie de ses personnages
masculins, la délicatesse et l'onirisme de ses atmosphères trouvant leur
inspiration dans la culture européenne, et notamment cinématographique
puisqu'une des influences de Moto Hagio sur Le Cœur de Thomas sera le film Les Amitiés particulières de Jean Delannoy - on peut soupçonner aussi qu'un film comme Marianne de ma jeunesse de Julien Duvivier a très certainement eut un impact important sur ce courant.
Le film de Shusuke Kaneko s'avère une adaptation assez fidèle, suivant
en grande partie la trame du manga hormis sa conclusion assez
différente. Summer Vacation 1999 possède
cependant sa propre identité, ses singularités que l'on peut en partie
attribuer à Rio Kishida, collaboratrice phare du cinéaste d'avant-garde
Shūji Terayama pour lequel elle signa les scripts de Les Fruits de la passion (1981) et Adieu l'Arche (1984). Summer Vacation 1999
se caractérise ainsi par un côté hanté et une dimension fantastique
bien plus prononcée. Le film s'ouvre sur le suicide de Yu (Eri
Miyajima), désespéré après avoir été éconduit par son camarade de
pensionnat Kazuhiko (Tomoko Ōtakara), et qui va se jeter d'une falaise
non sans avoir adressé une ultime lettre d'adieu à son aimé. Cette
entrée en matière mystérieuse et désespérée envoute d'emblée, par son
côté flottant et gothique jouant du contraste entre l'incroyable décor
isolé du pensionnat à la pure architecture occidentale et le fait
d'avoir des adolescents japonais.
Shusuke Kaneko assume les spécificités
et influence du manga, et en use pour installer un climat d'inquiétante
étrangeté, entre psychanalyse et expression du surnaturel. C'est
notamment le cas en choisissant de rejouer l'androgynie des héros de
papiers en les faisant jouer par des actrices, les traits, la silhouette
et démarche de ces dernières ne laissant jamais planer le doute quant à
leur genre mais provoquant un trouble croissant chez le spectateur - on
peut soupçonner un Bertrand Mandico d'avoir probablement vu ce film
avant de s'attaquer à Les Garçons sauvages
(2017). Autres partis-pris audacieux, celui de s'appuyer justement sur
la photogénie de ses actrices uniquement, tout en les faisant doubler
par d'autres interprètes ce qui ajoute une touche de bizarrerie mais
contribue aussi à la dissonance de leurs émotions.
Cette tonalité hantée s'illustre par le choix de vider le pensionnat de
ses élèves en faisant se dérouler l'intrigue durant les vacances d'été.
Cependant, le dernier jour de classe et le tumulte des départs n'existe
que par le son tandis que les espaces sont vides, hormis les trois
élèves contraints de rester, et qui avaient tous un lien affectif avec
le disparu Yu. Un quatrième et nouvel élève va s'ajouter à eux, Kaoru
(Eri Miyajima) qui s'avère le sosie parfait de Yu. Coïncidence étrange,
fantôme venu les hanter, doppelgänger cherchant à les tourmenter, les
questions abondent quant à cette ressemblance improbable. Cependant, le
caractère bien trempé de Kaoru s'avère aux antipodes de la timidité de
Yu même si chacune de ses actions constitue une réminiscence
déstabilisante pour ses compagnons.
Sa présence sert de révélateur aux
autres quant à leur sentiments non résolus par rapport à Yu. Pour l'aîné
Naoto (Miyuki Nakano) c'est le "retour" d'un rival alors qu'il est
amoureux de Kazuhiko. Ce dernier est rongé par la culpabilité de sa
responsabilité dans le suicide de Yu, sentiment ravivé par la présence
de Kaoru. C'est aussi l'occasion pour lui de s'interroger sur les
raisons l'ayant amenée à rejeter Kaoru dont on comprend qu'il partageait
sans doute l'attirance. Enfin le cadet Norio (Eri Fukatsu, seule
actrice non doublée et qui fera une grande carrière par la suite, vue
dansHarude Yoshimitsu Morita (1996) ou encore Vers l'autre rivede Kiyoshi Kurosawa (2015)) voyait en Yu son seul ami et camarade de jeu alors qu'il était rejeté par les autres.
Shusuke Kaneko installe un décorum rétrofuturiste, où la modernité
incongrue (les adolescents travaillant sur des écrans d'ordinateur qui
ajoutent involontairement à la touche vintage) s'invite dans un cadre
convoquant justement un certain romantisme occidental et nostalgique. On
se demande parfois si tous les protagonistes ne sont pas justement des
fantômes rejouant la comédie d'émotions et culpabilités passées, par
exemple par le fait qu'ils soient livrés à eux-mêmes sans la moindre
présence d'un adulte, et l'aspect isolé du pensionnat. L'ambiance est en
tout cas envoutante, les futilités et rires adolescents se disputant à
des questionnements plus profonds sur l'amour, le deuil et le temps qui
passe.
Shūsuke Kaneko capture les extérieurs dans une magnificence
pastorale baignée dans la photo diaphane de Kenji Takama, tandis que les
intérieurs constituent un écrin sensuel où se libèrent les pulsions
intimes, mais aussi se manifestent les possibles fantômes à travers les
jeux d'ombres inquiétants et la colorimétrie bleutée. On est vraiment
happé par cette touche étrange et introspective, appuyée par le score
délicat de Yuriko Nakamura au piano, l'émotion fonctionne vraiment et
l'ambiguïté sur les identités et intentions de chacun plane jusqu'au
bout. Le film assume en effet une résolution fonctionnant davantage de
façon sensitive et psychanalytique que logique, le côté hanté et
répétitif existant jusqu'au bout, mais pour des protagonistes désormais
apaisés et assumant leurs natures. Beau film s'emparant avec grâce et
originalité des émois adolescents.
En 1941, un petit groupe d'hommes de l'I.R.A. dépose des
bombes dans les stations du métro de Londres. Leur chef, Terence, a fini par
prendre conscience de la stupidité et de l'inutilité de la violence, et il
déserte. Son frère Matt vient alors d'Irlande pour prendre sa place. Après
l'arrestation de deux des hommes, Matt, croyant que Terence * les trahissait,
revient en Irlande et fait son rapport au chef de l'I.R.A., Shinto, et à une
femme, partisane fanatique. Elle a aimé Terence mais maintenant elle reporte
son amour sur son frère. Lorsqu'ils apprennent que deux prisonniers doivent
venir à la prison de Belfast, Shinto projette de les faire échapper.
Basil Dearden, durant son passage au studio Ealing puis plus
tard en développant sa société de production, n’eut de cesse de s’emparer de sujets
socio-politiques audacieux et sensible. Au sein d’Ealing, cet engagement se
fond dans les genres des films concernés, le quotidien de la police ou les
romances mixtes avec les polars The Blue Lamp (1950) et Pool of
london(1951) par exemple. Cette volonté se renforce lorsqu’après Ealing il
fonde sa compagnie avec son partenaire Michael Relph (rencontré en temps que
décorateur sur Saraband for Dead lovers(1948) puis producteur sur tous
ses films suivants) et que la majorité de leurs films communs auront une teneur
sociale prenant cette fois le pas sur le genre. Le racisme avec la délinquance
juvénile avec Violent Playground (1958) et Sapphire (1959), l’homosexualité
sur Victim (1961) ou encore les témoins de Jéhovah dans Life for Ruth
(1963). Il n’est donc pas étonnant de voir spécifiquement aux commandes d’Un
si noble tueur, abordant le sujet sensible de l’I.R.A. qui s’il se verra
abordé par le cinéma hollywoodien classique (Le Mouchard (1935) et Révolte
à Dublin (1936) de John Ford) et plus contemporain (Ennemis rapprochés
de Alan J. Pakula (1997), Michael Collins de Neil Jordan (1996), est
encore assez rare dans la production anglaise de l’époque si ce n’est Huit
heures de sursis de Carol Reed (1947) – carence rattrapée aussi dans la
production contemporaine avec Au Nom du père (1993) et The Boxer
(1997) de Jim Sheridan, Le Vent se lève de Ken Loach (2006).
Un si noble tueur exprime un message pacifiste
questionnant le fanatisme et la pulsion de mort des membres de l’I.R.A. Les Anglais
sont en retrait du récit et l’intrigue oppose deux faces du militantisme à
travers la fratrie composée de Terence (John Mills) et son jeune frère cadet
Matt (Dirk Bogarde). Terence a constaté la vacuité de la seule lutte armée en
vivant à Londres, en côtoyant le peuple anglais qui, loin de composer l’entité
unique d’un ennemi invisible et ancestral, se compose de petites gens rencontrant
les mêmes problèmes matériels que les siens en Irlande. Dearden dépeint, avec le
recrutement de l’adolescent Johnny (James Kennedy), le processus de
fanatisation et d’endoctrinement de la jeunesse où en s’appuyant sur les
ressentiments passés, la haine des Anglais et la prise des armes devient un
véritable rituel de passage, une affirmation de sa virilité par ce courage.
Dearden confronte ce discours et cette idéologie haineuse au
réel de situations complexes tout au long du film. En voulant poser une bombe
aux dégâts supposés « inoffensifs » dans le métro anglais servant de
refuge aux familles durant le Blitz, Matt subit le dilemme moral de
possiblement frapper des innocents. La virulence et le fanatisme de son
discours ne fonctionne que durant ses interactions isolées avec Terence, mais
vacille dès qu’il s’agit d’effectuer le choix juste entre le militantisme et la
morale ordinaire. Il faut toute la sensibilité de Dirk Bogarde pour préserver l’empathie
de son personnage quand l’idéologie semble prendre le pas, mais la fébrilité de
l’acteur et le contrepoint apaisant et pacifiste de John Mills maintiennent une
ligne morale subtile. Il y a là une sorte de conflit social et de génération
dans les affrontements se jouant au sein du récit.
Une mère (Barbara Mullen) ayant perdu son époux et voyant
son fils prendre ce chemin violent distingue clairement la face sombre de cet
engagement. La jeunesse semble déceler une échappatoire à un morne quotidien et
une forme de romantisme morbide dans la pulsion de mort de cette guérilla
moderne. Le personnage d’Elizabeth Sellars, passant des bras d’un frère à l’autre
au gré de leurs convictions, dégage un érotisme fiévreux stimulé par cette
pulsion de mort, son amour étant promis à n’être jamais aussi fort qu’après un
sacrifice tragique et attendu.
Les meneurs plus âgés semblent donc exister pour
perpétuer le cycle de la haine et de la violence à l’image de Shinto (Robert
Beatty), écrasant de la pression du groupe les jeunes recrues malléables. Basil
Dearden dépeint tous ces questionnements avec finesse, équilibrant parfaitement
le discours et la pure efficacité du suspense pour affirmer son propos. Il n’y
a pas forcément au sein du film un grand morceau de bravoure dont on le sait
capable, mais la tension est constante, la violence et les rebondissements
déroutants peuvent surgir à tout moment – la réaction apeurée de Johnny face au
gardien de dock. Un si noble tueur est une grande réussite qui aborde avec
justesse et retenue une problématique à la fois locale et universelle.
Deux petits voyous se voient obligés de
participer par hasard a une évasion. Poursuivis par les autorités, ils
se réfugient dans un petit village, déguisés en prêtres.
Dans ses meilleurs films, Neil Jordan parvient toujours à installer une
dualité poreuse entre le réel et l'imaginaire. Cela confère une aura
étrange et psychanalytique dans la relecture de conte qu'est La Compagnie des loups (1984), instaure un second niveau de lecture dans les visions infernales des bas-fonds urbains de Mona Lisa
(1986). Cela permet au réalisateur d'instaurer une ambiguïté chez ses
personnages quant à leurs sentiments (la romance queer de The Crying Game (1992), l'amour/haine de la condition de vampire dans Entretien avec un vampire (1994) et Byzantium (2012)) et dans leur appréhension du réel magnifié par le mythe (la créature de Ondine (2009)) ou rendu inquiétant par leurs traumatismes (la terreur urbaine de A vif (2007). Nous ne sommes pas des anges
aborde la question par le prisme de la croyance religieuse, qui sera
plus tard au cœur de la romance tourmentée de La Fin d’une liaison (1999). Le film est une relecture par le scénario de David Mamet du film
La Cuisine des anges de Michael Curtiz (1955), lui-même adapté de la pièce éponyme de Albert Husson jouée en 1952.
L'argument est "mametien" en diable puisque reposant sur une
mystification, lorsque les deux évadés Ned (Robert de Niro) et Jim (Sean
Penn) se trouvent contraint à se fondre déguisés en prêtre au sein
d'une communauté religieuse pour fuir leurs poursuivants. Dans un
premier temps, l'approche de comédie certes plaisante semble étouffer le
lyrisme de Jordan, ici dans le cadre d'une production studio
hollywoodienne. Le quiproquo et les gags prennent le pas sur le
questionnement religieux, mais c'est pour privilégier la caractérisation
du duo. Le naïf Jim semble étonnamment trouver sa place dans le
sanctuaire religieux, davantage par ses interactions avec la communauté
bienveillante qu'une foi prononcée. Le plus cynique Ned y voit avant
tout un moyen de s'en sortir, mais l'impact que sa couverture va
accidentellement avoir sur une mère de famille esseulée (Demi Moore)
l'amène peu à peu à davantage d'empathie. Neil Jordan amorce plusieurs
situations introduisant un certain mysticisme, qu'il désamorce dès
qu'elles s'avèrent trop démonstratives et épiphaniques. Le but n'est pas
de dénigrer la croyance, mais de la manifester par prise de conscience
ordinaire et terre à terre plutôt que par des supposés miracles.
Ainsi
les larmes coulant des yeux d'une statue de la vierge viennent d'un trou
au plafond lors d'une prière désespérée de Ned sur le point d'être
pris, le stigmate religieux sanglante vient de la blessure du troisième
évadé Bobby (James Russo) lors de la conclusion et diverses compositions
de plans et scènes de foules (la procession finale) jouent la double
carte de l'ironie et l'imagerie habitée - baignée dans la lumière tour à
tour céleste et terreuse de Philippe Rousselot. Il y a la même démarche
dans l'architecture oppressante de la prison minière du début de film
dont le production design convoque totalement l'iconographie religieuse
des enfers. Tout est en fait contenu dans le maladroit et touchant
discours que sera contraint de faire Jim, exhortant ceux qui en
ressentent le besoin de croire si cela les aides à avancer un jour de
plus, mais sans l'injonction et la promesse de châtiment. Jordan filme
longuement une foule sensible à ce message, après s'être moqué plus tôt
justement des croyants fonctionnant par la peur avec ce policier rongé
par la culpabilité d'avoir payé pour du sexe et trompé sa femme.
Ce n'est qu'après avoir trouvé cet équilibre que Jordan laisse les
"miracles" intervenir lors d'un climax spectaculaire où la statue de la
vierge joue un rôle clé. C'est pourtant toujours le déclic tout ce qu'il
y a d'humain qui déploie l'émotion avec les sursauts héroïques de Ned
et Jim. La conclusion maintien d'ailleurs cet entre-deux évitant
l'athéisme cynique et le prosélytisme complaisant dans le choix de ses
deux héros, rendant logique même si frustrant le lyrisme plus feutré de
Jordan durant le film.
L’inspecteur Dragon Yau et l'avocate Mandy Chang sont
malgré eux mêlés à la disparition d’une mallette contenant des millions de
dollars blanchis provenant du trafic de drogue.
Tiger Cage 2 est une fausse « suite » de Tiger
Cage (1988), merveille de polar urbain martial qui rencontra un grand
succès. Dans la lignée de la saga d’action « cousine » Le Sens du devoir avec laquelle elle entretient plusieurs liens (nous y reviendrons), la
trilogie Tiger Cage ne doit son fil rouge qu’à la récurrence de son argument de
polar violent croisé à des scènes d’actions périlleuse, avec la permanence de
certains participants comme Yuen Woo-ping à la réalisation et Donnie Yen au
casting des deux premiers volets. Ce dernier gagne d’ailleurs du galon dans Tiger
Cage 2 puisque de chien fou sacrifié (mais remarqué) du précédent film, il
passe cette fois en haut de l’affiche. Tiger Cage 2 est un très solide
divertissement, mais s’inscrit davantage dans une logique de formule comparée à
la noirceur, l’imprévisibilité et l’âpreté de son prédécesseur.
Cette fois malgré des prémices plutôt ambitieux (le
blanchiment d’argent mafieux à Hong Kong par les triades par le monde des
affaires), le film ne sait sur quel pied danser quant au ton à adopter. Donnie
Yen et Rosamund Kwan sont laborieusement réunis par l’intrigue pour former un
duo comico-romantique lorgnant sur les Maggie Cheung et Jackie Chan des Police Story. Incompréhensions, amours vaches et petites jalousies lorsque le duo
devient triangle amoureux avec l’arrivée de David Wu sont entrecoupés de morceaux
de bravoures oscillant entre violence décomplexée et cette supposée légèreté.
Le charme et le charisme des acteurs, surtout une charmante Rosamund Kwan,
permettent de naviguer sans trop de heurts entre ces ruptures de ton.
L’inventivité
des scènes d’action, notamment durant la première partie, fait merveille avec
une foultitude d’idées nourrissant le véritable dispositif conçu pour chaque
bagarre. L’éclairage défaillant d’un tunnel d’égout devient le théâtre de coups
de pieds et poings surgis des ténèbres et encaissés avec autant de douleur que
de surprise. Une poursuite puis un combat entre deux bus provoquent chutes et
traversées de pare-brise vertigineuse et, globalement, tout est prétexte à
distribuer parfois gratuitement une gifle bien sentie (les amitiés un peu trop
viriles entre Donnie Yen et David Wu ou son ami policier).
Le problème du film est le manque d’identité qui
caractérisait Tiger Cage. On retrouve ici les ralentis démonstratifs
amplifiant la moindre cascade risquée, le moindre coup virtuose, un gimmick
rare dans Tiger Cage qui privilégiait la brutalité et l’urgence dans son
exécution. Le casting participe aussi à ce sentiment de série B efficace mais
anonyme, Yuen Woo-ping reprenant dans un rôle secondaire et artificiellement
gonflé Cynthia Khan dans Le
Sens du devoir 4 (1989) où elle avait pris le relai de Michelle Yeoh. Un film où figurait aussi Donnie Yen, rendant l’ensemble
un peu interchangeable (notamment avec les guests martiaux occidentaux comme l’intimidant
Michael Woods) contrairement à Tiger Cage dont le motif de la trahison
est bien plus superficiel ici.
Tiger Cage 2 est donc une œuvre relativement décevante en
tant que suite, mais qui pris isolément reste un solide divertissement musclé.
Gregg Araki est une des figures majeures du cinéma
indépendant américain apparues dans les années 90. Son esthétique stylisée et
agressive le place à cheval entre le mainstream de l’époque qu’il se plaît à
subvertir, et une facette plus arty et underground. A travers ces différents
axes, il contribua à introduire l’imagerie, les questionnements et les mœurs queer
sous un nouvel angle que va analyser l’ouvrage de Fabien Demangeot.
Sur ces problématiques LGBT, il y a une part d’intime et d’universel
pour Araki, rattaché au contexte particulier des Etats-Unis durant les années
80 et 90. Dans une société majoritairement homophobe, la communauté gay se
place à la marge sociale et culturelle, rattachée à certains clichés qu’elle
contribue parfois aussi à démocratiser et dont Araki se déleste grandement dans
ses films – les attitudes et adjectifs féminins associés aux hommes gays. Les
homosexuels sont les grands sacrifiés des premières années de propagation de l’épidémie
du sida (avant que le gouvernement Reagan se décide enfin à légiférer
tardivement en 1987), la maladie leur étant directement associée avant que les
hétérosexuels constituent un pan important des contaminés. Il y a donc un
nihilisme, une absence de perspectives et une noirceur particulièrement
prononcée dans les premiers essais de Greg Araki, allant des très obscurs Three
Bewildered People in the Night (1987), The Long Weekend (O'Despair)
(1989) à The Living End (1992). Ce désespoir se rattache à la condition
gay, à la colère qui anime Araki sur le monde qui l’entoure, mais est
aussi symptomatique du dépit plus général de la jeunesse d’alors, la Génération
X et toute la culture émergente qui l’entoure – la musique grunge et le groupe
Nirvana par exemple.
Fabien Demangeot ne s’attarde pas particulièrement – Araki ne
semblant de toute façon pas très disert sur ce sujet en interview – sur la biographie du réalisateur hormis son parcours scolaire et ses études de
cinéma. L’auteur sème tout de même quelques pistes (le paradoxe de ce
réalisateur nippo-américain ne filmant jamais de protagonistes asiatiques) qui
permettent d’aborder l’étonnante dualité des films d’Araki à partir du moment
où il va initier sa fameuse trilogie de l’apocalypse : Totally F***ed
Up (1993), The Doom Generation (1995) et Nowhere(1997). La
forme aride des premiers films se fait désormais plus colorée, stylisée et
en adéquation avec son temps, notamment toute l’esthétique MTV. Fabien
Demangeot souligne les influences d’Araki, allant de l’âge d’or hollywoodien (Vincente
Minnelli, Douglas Sirk chez lesquels percent des éléments camps) aux
expérimentations de la Nouvelle Vague, sans oublier de grands auteurs européens
comme Rainer Werner Fassbinder lui aussi à mi-chemin entre classicisme et
dimension queer. Araki dissémine dans nombre de ses films des éléments
référentiels au détour de situations, dialogues, expérimentations formelles
(les fulgurances façon Kenneth Anger de Scorpio Rising (1964) vues dans The
Doom Generation et Nowhere) et même certaines intrigues en forme de
remake comme Splendor (1999) offrant une sorte de relecture du Sérénade à trois d’Ernst Lubitsch (1933).
L’auteur démontre ainsi la façon dont Araki reprend et
perverti les codes esthétiques de son temps, en y maintenant un classicisme
narratif tout travaillant un excès et une outrance animé des angoisses
existentielles d’alors. Le cadre, les intrigues et une grande part des castings
(Shannen Doherty, Christina Applegate, Ryan Philippe…) s’inspirent de tous les teens
dramas triomphant alors à la télévision (la série Beverly Hills en tête),
mais dans lesquels les protagonistes gays sont absents. Araki dynamite donc
une imagerie familière de l’Amérique, encapsulée dans une outrance pop art,
sublimée par des protagonistes à la beauté irréelle, mais où s’insèrent la
dimension gay dans une volonté hédoniste et nihiliste. Le plaisir et la
jouissance doivent être immédiats pour les éphèbes dont le temps est compté, le
spectre de l’apocalypse imminente planant sur eux. Le discours nihiliste et/ou
la quête désespérée d’amour des personnages d’Araki les condamne à une jeunesse
éternelle, les périls bien réels (violences homophobes, épidémie du sida)
métaphorisés par des menaces extravagantes (invasion extraterrestre) ne les
destinant pas à vieillir – ou alors dans une certaine déchéance comme l’acteur
James Duvall héros de la trilogie et représentant cette grâce perdue dans ses
autres rôles chez Araki.
Fabien Demangeot observe la mue de Gregg Araki dans les
années 2000, dont la forme et les provocations s’apaisent sans dénaturer ses
thématiques. L’invention et la subtilité du mélodrame Mysterious Skin
(2004) constituent un sommet de sa filmographie, l’ouverture des schémas
sexuels et sentimentaux dépassent le strict cadre homosexuel dans Splendor
tandis que Smiley Face (2007) est une hilarante incursion dans le
burlesque. Cela entre en corrélation avec le moment où les codes LGBT
imprègnent désormais plus explicitement la pop culture, et ne nécessitant plus
l’approche rageuse d’antan. Kaboom (2010) apparaît ainsi comme une superbe
synthèse, tandis que White Bird (2014), dernier long-métrage d’Araki à
ce jour est même une sorte de réconciliation générationnelle, post-mortem
certes. L’auteur souligne le revers de la médaille pour un Araki ayant de plus
en plus de mal à financer ses films, la récupération mercantile d’une
esthétique qu’il a contribué à créer. La marge qu’il défendait n’en est plus
tout à fait une, les situations osées d’autrefois sont devenues le commun (même si
aseptisées) de la moindre série adolescente Netflix (l’auteur cite 13 Reason
Why dont Araki a même réalisé quelques épisodes) et Araki est devenu une
sorte de trademark se recyclant dans des spots publicitaires ou cachetonnant
dans des fictions qu’il a inspirées superficiellement (en plus de 13 Reason
Why, l’auteur évoque également Riverdale). Néanmoins Demangeot met en lumière aussi l’héritage positif, de séries novatrices comme Euphoria à l’émergence
d’auteurs comme Xavier Dolan, largement redevables à Gregg Araki. Un ouvrage très
intéressant donc, riche de plusieurs citations d’études universitaires
parfaitement intégrées à l’analyse, et très didactique pour le néophyte
sur tout le champs lexical et codes inhérents à la culture queer.
En France, pendant la Première Guerre mondiale, Gilbert
Demachy, étudiant en droit, s'engage pour en découdre avec l'envahisseur
allemand. La ligne de Front paraît stagner en Champagne. Terré dans les
tranchées, chaque camp attend de passer à l’offensive.
Les Croix de bois est un des grands films évoquant la
Première Guerre mondiale en adaptant le roman éponyme de Roland Dorgelès. L’authenticité
traverse autant les choix esthétiques du film que le casting, puisqu’une grande
part de celui-ci (mais également les figurants) est constitués d’acteurs ayant
effectivement participés à la Grande Guerre, comme Charles Vanel ou encore
Raymond. Le récit reprend la structure du livre, qui était une représentation du
front plutôt qu’une intrigue à proprement parler, faite de chapitres sans liens
entre eux présentant des situations guerrières. Raymond Bernard nous présente
certes quelques protagonistes à suivre, mais ils représentent davantage des
archétypes (le cuisinier corpulent et lâche) que de vrais personnages. Cependant,
les rares moments de chaleureuse accalmie et camaraderie suffit à nous y
attacher à gros traits, notamment le jeune étudiant Demachy (Pierre Blanchar)
qui va découvrir le front, son mentor Sulphart (Gabriel Gabrio).
Toute cette facette constitue la longue introduction du film
sur le quotidien des soldats fait de marches, d’exercice fastidieux et d’attente
tandis qu’à se stade, goûter au front est une promesse d’adrénaline pour
échapper à l’ennui puisque certains comme Demachy sont engagés volontaire. La
spécificité du livre va donc vraiment servir le projet de Raymond Bernard lors
des scènes de bataille. Le réalisateur parvient à un mélange surprenant de
chaos, d’effroi et de réelle poésie formelle dans son filmage. L’ennemi
allemand est en grande partie invisible et la course au sortir des tranchées
est avant tout une affaire de survie plutôt que de combat, avec son déluge d’obus,
ses plateaux escarpés et la mort qui frappe brusquement dans une lente avancée
à tâtons.
C’est l’urgence qui domine dans les joutes de jour, déchaînant une
véritable apocalypse d’explosion, d’amoncellements de cadavres sur lesquels il
n’y a guère le loisir de s’attarder. La dramatisation classique n’a ainsi pas
lieu d’être au plus fort de la bataille, et le réalisateur ne nous la fait
ressentir que par un effet de longueur et répétition de cet enfer en fondu
enchaîné tandis qui phrase nous assène le fait que la bataille dura dix jours.
Au fil des ellipses répétant cette information, les troupes se clairsement, les
espaces se resserrent, les assauts frontaux laissent place à un jeu de
cache-cache tandis que l’ambiance se fait plus silencieuse. Raymond Bernard
passe par ce virage d’un filmage sur les vrais champs de batailles de la Grande
Guerre (obus et cadavres oubliés ressurgirent d’ailleurs du sol sur les
terrains malmenés par le tournage) à une esthétique stylisée et maniériste en
observant les nuits anxieuses de nos soldats camouflés. Nous comprenons bientôt
que la bataille s’est poursuivie dans un cimetière, manière d’appuyer une aura
funeste exprimée dès la scène d’ouverture lorsqu’un fondu transformait les
rangs de soldats anonymes en croix de cimetière. Un chant guerrier désespéré
évoquera plus tard le choix donné à cette malheureuse chair à canon, celui de
terminer cette guerre avec la croix de fer (synonyme de récompense militaire)
ou plus probablement de la croix de bois pour leur mort probable.
Plus le récit avance, plus Raymond Bernard entrecroise cette
approche heurtée et réaliste avec la dimension onirique, ne laissant aucun
doute sur le futur condamné de ses personnages. Au sortir de l’éprouvante
bataille de Champagne, notre groupe de soldat est de nouveau sollicité pour un
défilé devant une population qu’ils sont supposés exalter. Au contraire, une
somptueuse composition de plan superpose en fondu le défilé des vivants avec
celui des innombrables morts grimpant symboliquement aux cieux, une église s’intercalant
entre les deux niveaux de perceptions. Ce statut de martyrs est renforcé par le leitmotiv musical de l'Avé Maria. Ne reste plus qu’à attendre la prochaine
bataille, la prochaine veillée nocturne possiblement sans lendemain, avec la
perspective inéluctable de s’aligner aux côtés des innombrables champs de croix
de bois.